Une Semaine, un Chapitre

Dans un coin étriqué d'une campagne verte et paisible, le cultivateur de lapin règne en petit maitre. Au centre de son champ, le regard éteint et les traits tirés, il regarde avec mélancolie la longue file d’aventuriers qui attend ses lapins et les aventures si dangereuses dont ils regorgent. Mais depuis quelques temps, un étrange phénomène semble avoir pris possession de ses cultures, comme si toute l’imagination contenue dans la terre, ramenée jusqu’aux poils blancs et purs, n’avait plus la force d’inventer.

Dans la petite clairière, le paysan est là. Vêtu de coton et de lin à peine taillés pour ressembler à des vêtements, il est comme bouffant, et Johanna, sans savoir trop pourquoi, voit bien cet homme jouer dans un théâtre. Son chapeau, légèrement élimé et garni ça et là d’une tige de paille, cache en partie ses yeux. Il est assis sur une chaise, au centre d’un champ où, ça et là, quelques oreilles de lapin pointent déjà le bout de leur nez.

Le trou est rond comme une mandarine, léger et pas immense, et surtout dédoublé. La balle, vaillante, a transpercé de part en part la matière trop offerte, éclairée par les flammes dansantes.

- Hé bien, Shrandof, tu ne M’attends pas ?
Derrière Shrandof, boucher sanguinaire aux instruments de fer, se tient Mac, en personne, le visage révulsé.

Dans la voiture, Johanna est toute timide : elle ne sait trop où mettre ses pieds, si poser ses longs cheveux contre l’appui-tête est décent, et surtout, la nouvelle configuration de l’engin l’effraie. Habituée à sentir John devant elle, à n’être pas traquée par son regard et à pouvoir l’observer à loisir, elle avait cultivé une philosophie du voyage pétrie d’un certain voyeurisme. Mais là, ce n’étaient plus ses yeux qui regardaient. A coté d’elle, le visage presque toujours tourné vers elle plutôt que vers la route, Basile la mange littéralement du regard. « Je ne sens plus mes yeux, je ne sens plus mes yeux » pense Johanna apeurée.