Johanna, sous le choc, s’est mise à pleurer. Puis, lentement, les pleurs se sont éteints, la colère a pris place dans ses yeux bleus d’enfant, la haine a vu le jour sur ses lèvres vermeilles, et brisant le silence installé par son père et l’infâme inconnu, elle a d’abord crié.
Puis, quelques forces lui reviennent et elle brandit, flageolante, le jean encore mouillé.
- Comment avez-vous pu oser tirer sur lui? lance-t-elle à l’inconnu qu’elle trouve si beau et si salaud aussi.
Pour toute réponse, le bel homme s’est approché près du feu pour tendre la main à John. Celui-ci l’a acceptée et l’homme s’est assis, à ses cotés.
- Qui êtes-vous ? se met à crier Johanna.
L’homme ne la regarde pas. Il n’a que son dos à montrer à cette adolescente trop brutale et trop matériellement sensible.
- Mais je sais qui vous êtes ! se met à rire Johanna. Bien sûr, je le sais. Quelle idiote. Ça circule partout cette histoire de tireur. Tu ne te souviens pas, père ? On en a entendu parler tant de fois ! Ernest Corqueweste, le tueur de pantalons !
- Tais-toi, répond John sèchement. Tu ne sais rien. Crois-tu que les livres et les gens des villages savent la vérité ? Ernest est l’un de mes plus grands rivaux en terme d’aventures, et si tu avais misé davantage sur des sources valables, tu saurais que ses tirs sont les plus mystérieux qui soit. Je peux ? demande John à Ernest.
Celui-ci hoche la tête.
- Le cow-boy que tu as devant toi est un vrai magicien. S’il veut, il peut effrayer n’importe quel petit malfrat sans faire couler de sang. Il vise, il tire, mais sans percer la jambe. La balle s’attaque au jean mais jamais à la peau.
Johanna, ébahie un instant, se rattrape bien vite.
- Ce n’était pas une raison pour tirer sur le mien.
- Si tu veux, petite, je tirerai sur ta jambe la prochaine fois.
La voix de l’inconnu, caverneuse et mélodieuse a un léger accent indien. « Très séduisant » pense Johanna avant de se reprendre. « Quoi, il propose de me déchiqueter ? »
- C’est très amusant, dit John. D’ailleurs, j’en ai toujours rêvé. Tu réalises mon rêve Ernest ?
- Avec plaisir John.
Notre héros, debout, fait face à Ernest qui vise et tire. Le coup de feu traverse la jambe du cow-boy qui éclate de rire.
- Comme c’est drôle ! Une sensation fantastique… J’ai l’impression qu’une femme me caresse. Viens essayer mon fils !
Mais Johanna, peu rassurée encore, secoue la tête.
- Mon jean est trempé, je préfère ne pas le mettre. Demain, peut-être.
- Alors tout ce qu’on raconte sur vous est vrai, lance Ernest.
- Que raconte-t-on ?
- On dit que toi, John, tu as fait de ta fille un fils n’ayant pas eu d’autres enfants. On raconte que tu as rajouté à Johanna quelques attributs physiques qu’elle n’avait pas et que la pauvre enfant ne sait plus trop qui elle est. En fait, on parle d’elle un peu comme d’une chose étrange, et dégoûtante. Les gens en ont peur et c’est un prénom qui, dit-on, porte malheur.
La pauvre jeune fille, outrée, secoue la tête en signe d’horreur. Comment se trouver un amoureux dans de pareilles conditions ! Telle une veuve éplorée, elle sent un grand vide l’envahir. John n’en a cure et Ernest ne voit rien.
- Tu connais les ragots, répond John. Je ne suis pas chirurgien moi. Je me contente de l’élever à la dure, voilà tout !
- Ce qui tombe bien, murmure Ernest, car voilà la raison pour laquelle je viens. Notre informateur commun a une mission à nous donner, et il semblerait que cette aventure soit la plus dangereuse au monde. Il paraitrait même qu’on n’en sorte pas vivant.