John, habitué à ce que Johanna s’évertue à être impolie et constamment désorientée ne répond pas. D’ailleurs, le cow boy aperçoit désormais, à quelques centaines de mètres, il lui semble, des champs.
- Regarde langue de vipère, voilà la sortie !
Et Capsoul, ragaillardie par cette vue accélère le pas. Pourtant, la sortie ne vient pas.
- Ça, dit John, Capsoul tu es bien lente, j’aurais presque l’impression que tu recules !
Embêté de voir ce qu’il ne peut atteindre, John lance la belle jument au galop. Mais, au moment même où John croit sortir des bois, un étrange phénomène semble le ramener en plein milieu des arbres.
- Enfin, lance John, j’ai quand même vu cette allée déboucher sur des champs !
Johanna, les yeux au ciel, semble de plus en plus effrayée : les feuilles, mouvantes avec le vent, commencent à tomber de leurs branches, comme une pluie opaque et verte.
- John, s’étonne Johanna, nous sommes en Juin !
Mais John ne s’étonne plus de rien : après tout, le climat a le droit de changer d’avis, lui aussi, et si les feuilles ont envie de tomber en juin plutôt qu’en novembre, alors qu’elles réalisent leur désir, car, pense John, le désir, l’avancée, le mouvement : voilà l’essentiel.
Pendant ce temps, la peur de Johanna grandit, si bien qu’elle finit par avoir l’impression que son cerveau, si petit soit-il pour John, pourrait bien exploser de cette augmentation de frousse bleue. C’est alors que l’apparition apparut dans sa transparence d’apparat : vêtue d’une robe bleue ciel qui cache jusqu’à ses pieds, son visage seul découvert et bleu lui aussi, l’étrange être s’approche, en riant, et John, sans peur, le sourire aux lèvres, avance de plus belle. Au moment de la rencontre, l’image disparait.
- Ça dit John, elle était pourtant bien belle. Quel dommage de l’avoir perdue si vite.
Johanna, elle, ose à peine rouvrir les yeux tant elle est effrayée, et il lui semble désormais que les feuilles qui continuent de tomber sur leur passage sont devenues bleues. Pendant que John exulte à propos de ce phénomène fantastique, Capsoul, elle, n’a que faire de toutes ces excentricités. Elle pense à une étable au chaud, et à une cargaison de granulés si grosse qu’elle pourrait bien en être recouverte si l’on s’avisait de déverser ces prodigieux contenus alimentaires sur ses quelques cinq cents kilos. « Un toit, de la nourriture. N’est-pas le plus important ? » pense la jument tout en mâchonnant un brin d’herbe.
Mais le repos de la plus belle conquête de l’homme est souvent passager, car John en est sûr cette fois, devant lui, à peut-être un kilomètre de là, Ernest est là, fier et droit sur son cheval. Tout redevient possible, pense alors John, car s’il parvient à rattraper le bougre, peut-être, avec la force de la discussion ou du pistolet, y aurait-il possibilité d’échanger sa quête contre celle d’Ernest, dont on ne sort vivant qu’avec beaucoup de chance et pour laquelle on reste à jamais une légende.