- C’est donc toi le maitre ? Quelle idée ! Déguerpis.
Shrandof et ses ustensiles bien penauds s’éloignent dans un entrechoquement de ferraille.
Mac Vidcquor, desserrant quelque peu le nœud de sa cravate violette, toussote. Autour de lui se répand une vague odeur de rose mêlée à de la cendre.
- Il est quand même logique que JE sois celui qui prenne soin de MES invités d’honneur… Jugement ! JE demande le jugement.
- Enfin, dit John, nous n’allons pas en finir… Le temps de trouver le tribunal, les avocats…
- Au bas mot, dit Basile, nous en avons pour deux ans, peut être vingt.
- C’est sans compter MA justice. A table !
Aussitôt, les femmes et les hommes présents installent une table, une chaise. Sur l’une, Mac pose ses mains, sur l’autre ses fesses. Il a le profil de ces juges antiques dont le nez, aquilin, explose au milieu de la figure dans le tourbillonnement des narines jumelles.
- JE suis ici pour juger MON ennemi de toujours : jb et ses comparses. JE les juge coupables. Qui s’oppose ? Personne bien évidemment. Adjugé. C’en est fait. La potence. C’est très bien. Et qu’on ne M’embête plus avec MON engrais et MES cultures et MON argent. De tout coté on ME harcèle : les héros de pacotille, les vengeurs américains, la police, l’orphelin de truc et la veuve de machin. Non, vraiment, MA situation est tout à fait insupportable, personne ne s’en rend compte, alors MOI JE condamne. Simplement. Pour n’être pas MOI-même condamné quand JE suis innocent. Mais trêve de bavardage. Avec vous il ne s’agit toujours que de ça : on parle, on parle, on parle et rien ne vient. JE ne suis pas comme vous. Dehors. LE JUGE a dit : potence et MOI JE suis le JUGE, et JE suis LA JUSTICE.
Johanna, dont l’utilisation depuis le chapitre précédent s’amenuise, tombe d’épuisement et de peur. John la prend comme un vulgaire sac sur ses épaules et, prenant les devants sur Mac, s’avance vers la sortie. Basile, peut-être plus pâle que d’habitude, suit cette procession funèbre.
- Quel dommage de mourir au beau milieu de ces champs et de ces forêts ! se lamente-t-il.
John, quant à lui, est dans l’impossibilité verbale tant le poids de Johanna lui scie les épaules qui, cela est bien connu, ont une grande influence dans le don de parole. Mac, tout à sa joie, laisse aller sa langue fertile en pronoms personnels de la première personne du singulier et discute, aussi, de son territoire, comme s’il s’agissait de lui-même.
C’est alors que John trébuche, et, dans le mouvement ascendant qu’il effectue sans pouvoir s’arrêter, au moment même ou devant ses yeux se profile la potence, la pierre lisse et transparente tombe de la poche de Johanna et vient s’écraser sur la terre meurtrière. Aussitôt, des débris transparents surgit une fontaine.
- La larme maudite ! La larme maudite ! hurle Mac terrifié.
Johanna, réveillée par sa chute et le raffut, se frotte les yeux sans trop croire à grand chose. Tandis que l’eau gagne du terrain, il semble qu’elle, reste au dessus de la fine pellicule qui grandit, salée et inodore. Autour d’elle, John et Basile, dotés du même pouvoir, regardent déjà disparaitre au fond de l’eau le plus grand ennemi du cow boy et sa clique de servants paresseux. Les cris, lamentables et haineux, laissent place à un silence mystérieux et serein. Au milieu d’un lac magnifique, Capsoul et nos héros se tiennent, au sec et souriants.
- Il suffisait simplement de détruire la larme maudite, explique John. Je me doutais bien qu’il s’agissait d’un puissant artefact réservé au bien. Ta mère, Johanna, ne pouvait pas laisser sur terre la cause de notre destruction, bien au contraire. Elle a laissé son arme dans ce bout de pierre en verre et c’est sans doute son fantôme qui, en toute connaissance de cause, a dérobé dans la forêt mon pistolet. Les esprits peuvent nous guider Johanna, sache-le. Ainsi, si tu perds ta vertu, c’est que cela est juste. Si ta bouilloire se volatilise, alors il est temps de la laisser aller, et si mon pistolet a disparu, c’est bien qu’il faut que j’en achète un autre !
- Mais, dit Johanna qui ne comprend pas tout, c’était donc la larme maudite que j’avais ramassé ?
- Oui, dit John, et en ayant l’idée de l’écraser je nous ai sauvé.
- Alors, dit Johanna, je suis bien la fille de ma mère.
- Bien sûr, dit John en haussant les épaules, que croyais-tu ?
- C’est que, dit Johanna, j’ai découvert à Bénodet qu’une femme portait le même nom que moi.
- Et ? dit John dubitatif.
- Hé bien, je me suis demandé si j’étais moi et si elle n’était pas moi, enfin, ta fille et celle de ma mère et si je n’étais pas autre.
Alors, John se met à rire, d’un rire si fort que Basile en sursaute et Johanna se vexe.
- Enfin, dit John, vous n’avez pas compris qu’ici, c’est le futur ? Tu écriras dans un siècle, Johanna, et puis c’est tout.
- Mais, dit Johanna troublée, on ne vit pas autant.
- Vraiment, dit John, j’ai quelquefois une patience extrême… Quand on est le héros d’un livre, mon fils, on a l’éternité devant soi.
- Oui, dit Basile, comme ma montre.
Et nos HEROS, d’un pas serein et dynamique, prennent le chemin de la forêt. Capsoul, d’humeur joyeuse, appuie très fort ses jambes contre le sol aquatique, à chaque fois étonnée de ne pas s’enfoncer dans les méandres du lac. John la caresse et la félicite pour ses loyaux services tandis que derrière eux, Basile et Johanna marchent main dans la main, et, qu’encore derrière, le soleil couchant pare de ses rayons étincelants et dorés la victoire des HEROS.