D’ailleurs, film et livre ont le même titre : L'antre de la folie. A quel dénouement cet indice peut-il mener ? Film qui est livre ? Héros qui est autre, plusieurs, et donc fou ?
Voilà un film dont on a peu entendu parler, et qui pourtant, cite avec habileté des films précédents et annonce avec autant d’habileté un film futur… Commençons par le passé : La nuit des morts vivants de Romero vient hanter le film : des êtres humains zombifiés, une jeune femme cannibale, toute une foule menaçante et irréelle. Peur d’atmosphère, atmosphère apeurante. Fellini et Les Histoires extraordinaires n’est pas loin non plus : les enfants de l’étrange ville ressemblent à la fillette diabolique de Il ne faut jamais parier sa tête avec le diable. Le ballon, lancé à l’héroïne du film de Carpenter est comme un ballon lancé d’une diégèse à l’autre, d’un film fantastique à l’autre. Les citations, dans les films de genre sont toujours un plaisir : plaisir de reconnaissance, plaisir d’une pensée à tisser des liens entre différents film, un peu comme si le film de genre existait pour lui-même mais à travers le genre aussi avec une signification variable, ouverte, qu’on l’appréhende seul ou par rapport à sa catégorie.
Mais L’antre de la folie fonctionne désormais aussi comme citation : Lost Highway, de Lynch, exploite à plusieurs reprises des thèmes très présents dans le film de Carpenter : l’internement, l’enfermement, la schizophrénie. Intéressant de noter, aussi, que les visages des deux premiers rôles sont plutôt ressemblants et qu’à l’image, les plans sur les routes, de nuit, avec ces bandes jaunes qui ressortent du bitume comme des fantômes achèvent de tisser un lien entre les deux films.
Bien sûr, L’antre de la folie développe aussi une réflexion bien à lui, basée sur une vision originale et effrayante du métier d’écrivain, perçu comme antéchrist, assimilé au diable. L’écrivain est un monstre, parce qu’il peut en créer et risque, en inventant un monde horrible de rendre ses lecteurs fous, de rendre réel ce monde. La question est posée, en partant cette fois-ci de la littérature, et non des jeux vidéos comme souvent : la lecture ne finit-elle pas par nous faire confondre réalité et fiction ? Ne finit-on pas par se prendre pour les personnages ? Sans support d’images, la lecture est peut-être, de ce point de vue là, plus dangereuse que le cinéma où l’image est là pour nous différencier physiquement du héros. Dans le livre, par contre, on devient le héros d’une manière beaucoup plus troublante, beaucoup moins lointaine : une fois la description passée, il est bien plus aisé de s’identifier. L’écrivain, donc, s’il crée dans son livre des monstres, peut-il les délivrer de cette prison livresque en rendant ses lecteurs fous ? La question peut sembler tirée par les cheveux, mais il est clair que chaque lecteur, chaque spectateur, est pour moi un schizophrène en puissance, en désir, capable de s’écarter quelques heures de lui-même pour devenir quelqu’un d’autre. Reste à se retrouver, une fois la dernière page terminée, une fois le générique enclenché.