Mais cette fois-ci, le plus important réside dans les réactions d’Alex, dans sa psyché oublieuse puis malade de l’acte irréparable, de l’acte non voulu, d’un destin trop lourd de fatalité. A l’intérieur de ce tunnel sans fin, personne. Le secret, trop lourd à dévoiler, reste néanmoins trop dur à porter, alors il faut écrire, se soulager, raconter, mais petit à petit, dans le désordre, parce qu’après un tel drame, Alex a perdu tout repère. Le film, lui aussi, perd pied : il a besoin de flashbacks pour raconter, de mélange et de répétition pour expliquer. Linéaire, le choc serait trop grand. Il doit être caché, diffus, et exploser, pourtant.

Il était une fois un voyage beau et troublant dans les perceptions d’Alex. L’adolescent, presque toujours en mouvement (marche des jambes, marche des mains : marches d’empreintes) ne voit pas comme les autres. Dans le skate, il perçoit l’ascension, le désir de monter, plus haut, en suspension, au ralenti, il devine un ballet lentement décliné. La musique, extra diégétique, vient de nulle part et finit d’envoûter le spectateur, comme une drogue. Les images et les sons, les voix, planent. Même le grain de l’image est différent : le skate, c’est cet autre monde déconnecté de la réalité où Alex aime à se retrouver, aime à regarder, mais sans participer. L’hypersensibilité des sons se multiplie, jusqu’à cette scène dans la douche où l’adolescent, hanté par des sifflements et des chants d’oiseaux, laisse l’eau couler le long de son visage, le long de ses cheveux. Sur les murs, des oiseaux dessinés… Dans la bande-son résident les sensations, les sentiments, les peurs, comme si Gus Van Sant avait voulu donner à la musique ce pouvoir de saisir un esprit, de mieux le comprendre, puisque les mots ne le peuvent pas. La scène de l’accident, alors, contraste avec le choix de la musique, religieuse.

Il était une fois une adolescence. Un mondé étrange jeté dans la modernité. Les parents y sont flous, très flous, ou très lointains, presque absents du film. Les skateurs de l’école rient devant les photos du cadavre et la petite amie, elle, ne donne sa virginité que pour mieux prévenir ses copines : ça y est, c’est fait. Le seul personnage en marge de cette puérilité juvénile, c’est Macy, avec ses boutons et ses pensées qui aident. C’est avec elle que l’éveil amoureux existe, dans le plan magnifique de leurs mains qui n’osent pas se rapprocher, mais dont les doigts tapotent, nerveusement, les pantalons.

Il était une fois deux opposés dans la même image : Alex se libère ou, devant lui, les flammes de l’enfer… La lettre disparait dans le feu, le film aussi.