Anna (jouée par la magnifique Naomi Watts) accouche une jeune femme qui meurt, avant même que son bébé ne respire. Dans la poche de la jeune femme, un carnet écrit en russe, et, bien sûr, Anna a des origines russes. C’est donc l’oncle qui va traduire ce journal intime terrifiant, en même temps que Semyon , le père d’un groupe de la mafia, personnage ambigu dont le spectateur ne sait jamais bien quoi penser. Gentil et calme vis-à-vis d’Anna, violent et brutal dans les traces du journal et vis-à-vis de son propre fils Kirill, un homme semblable à son commerce finalement : une apparente beauté, une apparente bienséance polie. Sous les dehors d’une honnête respectabilité se cache le mal, le vrai, celui qui ordonne les massacres. En réalité, l’ambigüité du film s’accroche aux maitres, aux pères : à Semyon, Monsieur Azim puis à Nikolai (Viggo Mortensten), qui du statut de chauffeur de Kirril finit presque patron de l’entreprise, sans que l’on sache vraiment quel est son camp à l’instant même où le film se termine puisqu’il trône, solitaire, le regard perdu.

Depuis le tournant opéré avec a History of violence (disparition progressive des insectes et d’inhumaines déformations), Cronenberg privilégie la voie d’une violence plus « humaine », et d’une déformation ici plus sobre, qui se joue dans l’encre noire des tatouages dont on parsème le corps de ces hommes de combat. Ce film est aussi l’occasion de découvrir des instants de douceur, chose inhabituelle dans la filmographie de Cronenberg : Kirril qui parle à une petite fille de sa famille, Anna et l’amour qu'elle prodigue au bébé Christine. L’enfance arrive dans le cinéma de Cronenberg, insouciante et consciente à la fois. Déjà présente dans la scène d’ouverture de Faux-semblants, elle avait démontré le fossé entre les premières années et l’âge adulte. Le fossé revient, cette fois encore, mais sans être totalement révélé puisque ces enfants innocents, le spectateur n’aura pas l’occasion de voir leur avenir, s’ils deviendront ou non, comme leurs ainés, des démons en souffrance ou des diables exempts de culpabilité. Un peu de douceur dans un monde de brutes : telle est l’arrivée de Naomi Watts dans un film de Cronenberg, telle est aussi, cette invitation à la douceur qui sait quelquefois transformer les loups en agneaux. Mais attention, dès quatorze ans, dès même leur naissance, les enfants sont en danger. Les plus forts, les adultes, peuvent les tuer, même après avoir promis les délivrer.

Un film de Cronenberg, Naomi Watts dans le rôle principal, une plongée dans un monde méconnu où les tatouages sont les journaux intimes des prisonniers de l’Est, une réflexion complexe sur la famille et principalement sur l’ambigüité des pères. Promis, vous ne serez pas déçu.