Johanna a l’impression de sortir d’un mauvais rêve, ou plutôt, d’une nuit sans vrai sommeil, tout en somnolence. Son ventre s’est réveillé de très mauvaise humeur, lancinant et indigeste. Johanna n’ose pas ouvrir les yeux, encore, ni sortir son visage de la terre. Elle pense. Où étais-je ? Et elle se dit que ce mal de ventre, comble du fantastique, vient peut-être de ce voyage au sein de l’entité bleue, vers son estomac où, sans le savoir, elle, Johanna, a peut-être pillé la nourriture de la déesse. « Si je devenais magique ? » pense Johanna. Elle prie. Elle demande plusieurs fois. Elle aimerait bien dormir. Mais ce fils crié la poursuit et Johanna, la tête clairsemée de terre, ouvre les yeux, et voit son père.
- Où tu étais mon fils ?
Johanna, les yeux à peine entrouverts à cause du plein soleil, murmure sèchement.
- Tu m’as laissée dans la forêt pour pourchasser Ernest.
Bien sûr, John n’a rien entendu et reformule plus acerbement sa question.
- Où t’étais enfin?
- J’avais trop de travail, dit Johanna en soupirant. Beaucoup d’exposés et de pages à noircir. Je m’excuse, je suis un peu en retard.
- Ah, dit John, je préfère ça.
Mais, pense-t-il, son fils n’est-il pas en train de lui mentir ? Car John a l’étrange souvenir d’avoir laissé sa belle progéniture au fond d’un bois, sans trop se souvenir pourquoi. « Diantre. Je me souviens mieux de mes rêves que de la réalité. » conclut-il pour lui-même.
Johanna, quant à elle, a bien envie de donner encore une nouvelle excuse pour son retard, mais déjà, elle sent ses souvenirs se mélanger, entrer dans une danse ou chacun envahit l’autre, si bien qu’au bout du compte elle se demande si elle a bien été, un jour, dans la forêt, abandonnée par John.
- C’est un endroit bizarre, dit Johanna dans un murmure. Je ne me souviens plus très bien, enfin ma tête… C’est étrange.
- Bah, dit John, tu n’as jamais été un grand intellectuel mon fils. Ne te bile donc pas pour si peu, et regarde plutôt ce beau paysage, car voilà, nous y sommes ! Voilà la vallée encerclée de montagnes.
- Elle me semble bien petite, cette vallée, réplique Johanna.
- Non, non, nous sommes simplement dans le sas, car tout à l’heure, quand j’ai escaladé la montagne devant nous, j’ai vu devant moi une étendue magnifiquement verte d’espérance, et, tout autour, comme ici, des montagnes, bien plus hautes que celles-ci. D’ailleurs, dit John, j’ai aussi vu autre chose, et je pense que dans la quête dont l’on ne revient pas, cette chose que j’ai vu est la première étape.
- Qu’est-ce que c’était ? demande Johanna avec indifférence, parce qu’elle est en train de s’observer dans une petite flaque d’eau pour voir si elle est bien coiffée.
- Un entrepôt ! exulte John, et mon fils, je le sens, il y a là-bas, pour nous, une grande aventure ! dit-il en enfourchant Capsoul d’un geste net et précis. Et Johanna pense, rêveuse, que le bel Ernest, peut-être, gagne en ce moment même l’entrepôt, et qu’une nouvelle rencontre, sans doute, éveillera en lui des sentiments d’amour qu’elle pourra ensuite éteindre, ou embraser. Alors, l’ombre d’un instant, ses yeux bleus deviennent jaunes.