- Ah, mais ça, dit John, c’est qu’on a perdu le bateau ! Mes amis sont sur l’île, il faut aller les secourir et vous verrez, tous vous diront ce que j’ai dit. D’ailleurs, des pirates auraient pu nous trancher la gorge. Heureusement, je pus les tuer tous et débarrasser cette vermine de l’île déserte où nous avons échoué.
Le capitaine, qui n’est pas mauvais bougre, décide sur l’instant d’aller en direction de l’île. John exulte, remercie, et Steamer, élu depuis cinq ans meilleur capitaine des Etats Unis lui offre des vêtements neufs à l’effigie de lui-même. Voilà sans doute le fait le plus marquant de l’équipage du Chien Fringuant : quelque soit son poste, chacun des hommes porte le même vêtement, aux couleurs du bateau et au visage de son capitaine.
- C’est ainsi que je gagne tous les ans, explique le capitaine Steamer à John. Personne n’ose encore me copier, alors vous comprenez, le titre de meilleur capitaine des Etats Unis, il n’y a que moi qui peut l’avoir.
- Je me présente, dit John. JB, le fameux cow-boy. Deux légendes se rencontrent aujourd’hui Steamer.
Le capitaine n’en dit pas davantage : JB était pour lui des initiales tout à fait inconnues, et, dans l’idée que les heures multiples passées à nager dans la mer avaient quelque peu défraichi le cerveau de son invité, il pensait bien évidemment que le pauvre homme perdait la tête. Fort heureusement, l’île, bientôt, fut tout à fait visible, et c’est dans un bonheur inexprimable que John sur le pont, se mit à faire de nombreux signes.
Quelle ne fut pas sa surprise ! Il cherche, il scrute. Rien.
- Monsieur, dit Steamer, vous avez eu une dure journée, si vous vous reposiez nous vous reconduirions à terre, et vous seriez soigné.
- Ah, ça ! dit John, je vous dis que j’ai laissé mon équipage ici !
- Je ne vois rien… continue le capitaine.
- Capsoul ! Capsoul ! Johanna ! Johanna !
- Il appelle ses amis défunts, murmure le capitaine à l’oreille de son lieutenant. C’est très triste.
Mais déjà, deux apparitions émergent de la forêt. John, étourdi de bonheur, demande à ce qu’on ramène sur-le-champ sa jument et son fils sur le bateau. Les marins s’escriment et John, quelques minutes plus tard, peut enfin serrer Capsoul dans ses bras. L’effusion passée, il regarde Johanna.
- Qu’as-tu fait de nos compagnons ?
- Oh, dit Johanna, j’ai eu très peur… Ils ont tous disparu au fur et à mesure. Quand je t’ai entendu appeler nous revenions d’un tour de l’île sans avoir retrouvé personne !
- Et les sauvages ? demande John en murmurant si bas que Johanna est la seule à entendre la question.
- La ville n’était plus là, dit Johanna en déglutissant.
- Tout ceci est d’une étrangeté sans nom ! J’avoue préférer la terre ferme à ces mers où l’on ne comprend jamais rien : voilà que l’on est sur un rafiot, il disparaît, puis c’est au tour des barbares, et des compagnons… Non, vraiment, dit John, je craque ! Il me faut de la terre, à perte de vue, menez-moi s’ils vous plait, Capsoul veut enfin pouvoir galoper sans être bridée par l’étroitesse des îles.
Steamer, qui décidemment tient à garder sa réputation élevée, jure d’amener John (qu'il trouve bien atteint), Johanna, et Capsoul à bon port, en Europe.
- Et, ajoute-t-il, arrivés à Brest, vous ferez la rencontre de mon neveu. Il s’appelle Basile et croyez-moi, vous ne trouverez de guide plus moderne et équipé que lui !
- Ça, dit John, je prends ! J’ai besoin d’un tel homme et pour commencer, sans doute, il trouvera un deuxième cheval pour nous suivre.
- Oh, monsieur John, il fera bien mieux ! C’est quatre-vingt dix chevaux qu’il vous trouvera !
- Mais, dit John, cela ne va-t-il pas nous retarder d’avoir pour compagnons toute un troupeau ?
Et déjà, chacun des marins éclatent d’un rire franc car c’est bien connu : aux Etats Unis on ne connaît encore que le cheval. En Europe, on conduit déjà des chevaux par dizaine.
- Comment va résister monsieur John au contact de l’Europe ? demande le lieutenant au coin du feu, les sourcils froncés et soucieux.
- Basile lui sera d’une grande aide, autrement, il est perdu. Un américain ne pourra pas survivre ne serait-ce qu’un jour seul, lâché dans ce monde moderne et technologique qu’est l’Europe.
Bien sûr, le capitaine avait raison...