et, à quelques mètres plus loin, la civilisation barbare et perdue des pygmées ! Deux solutions, pense John : les recoudre, les cacher, laver, comme si de rien n’était, indiquer aux sauvages de fuir à l’autre bout de l’île… Ou…
- Il faut un acte de bravoure, dit John en prenant le ton le plus sérieux qui soit. Il en va de nos vies à tous.
Déjà, les intéressés se rassemblent. Certains, trop éprouvés par l’alcool, restent néanmoins à l’écart, se tenant le ventre comme s’ils (ironie du sort) avaient le mal de mer.
- Eh bien, dit John, c’est à moi de faire ce sacrifice, et de risquer ma vie pour vous tous !
Johanna, la première, applaudit de toutes ses forces. JB est un héros, elle s’en souvient bien, et cela ne fait aucun doute : il ramènera le bateau. Et déjà, JB se jette à l’eau, tout habillé. Capsoul, ivre de peur, s’élance à sa poursuite, craignant qu’il ne se noie. S’ensuit une danse aquatique bien étrange où John, se dégageant finalement, réussit à prendre le large laissant la pauvre jument dans la mer, à quelques mètres de la plage. D’atroces hennissements déchirent le ciel, si bien que sur terre, certains commencent à s’interroger sur le parallèle à établir entre les chiens et les chevaux.
- Voyez comme l’étalon aime son maitre.
- Mais le chien est même prêt à mourir.
- C’est une jument, risque Johanna.
- Je vous dis que l’étalon est le meilleur. Vous le sifflez, il reviendra.
- Mais monsieur, le chien aussi revient, et si mon cher Flip était encore en vie, sachez-le, nous le verrions arriver à la nage pour courir ensuite vers moi et me lécher les joues.
Pendant cette intense discussion, John nage, surnage, « dénage », patauge, s’escrime dans le vent et les embruns salés, à la recherche du bateau. C’est quand même fou : une heure qu’il nage, et rien, c’est à trembler de peur… Fort heureusement, l’eau est bonne, claire, à peine trop salée : il fait bon se baigner dans cette mer si calme. Enfin, à l’horizon, le navire se détache, tranquillement emmené par le roulis de petites vagues. John accélère, espère, encore, même s’il est proche du but, trouver quelque dauphin ou une tortue pour le conduire au plus près du bateau car il est fatigué. Personne. C’est bien inadmissible, mais John, arrivé à un mètre du navire, a déjà oublié ce désagrément et, s’accrochant à une corde tant bien que mal, il se hisse finalement jusqu’à la proue. Le voilà sur le pont du bateau désert, qui, pendant quelques heures, n’avait eu pour matelots que des vagues légères et pour capitaine une mer amoureuse du large.
- Je suis le capitaine ! hurle-t-il avec bonheur. J’ai gagné, j’ai gagné !
John, fou de joie, s’accorde quelques minutes d’égocentrisme avant de réfléchir à la façon dont il va pouvoir ramener le bateau dans l’autre sens ! Mais déjà, sur le pont, une dizaine de marins avance, très étonnés. JB, encore plus hébété qu’eux, les regarde plusieurs secondes sans rien pouvoir dire.
- Enfin mais qu’est-ce que vous faites là monsieur ? lui demande-t-on ?
- Ça, dit John, je suis venu récupérer le navire vide pour sauver les pauvres gens de l’île. Nous avons laissé partir ce bateau, il fallait bien le rattraper. Mais que faites vous ici ?
Dans les rangs, ça chuchote ferme. Un semblant de mousse court à la recherche du capitaine. Le capitaine arrive, grand, bien proportionné, les épaules larges.
- Capitaine Steamer, actuellement capitaine du Chien Fringuant, pour vous servir.
John, éberlué, commence à regarder autour de lui. Le navire, il s’en rend compte, lui est tout à fait inconnu. Il essaie quand même :
- Le Black Sepulture ?
Aussitôt, l’ensemble des marins se met à rire.
- Ah non, pas encore, dit John…
Mais les hommes, incapables de s’arrêter, se tordent désormais dans tous les sens.
Le capitaine rappelle à l’ordre, il faut quelques minutes pour retrouver un plein silence.
- Monsieur, le Black Sepulture n’a jamais existé. C’est un bateau-mirage, murmure le capitaine.