Requins d’eau douce est un roman policier abouti et bien pensé. Le héros principal – Lukastik – très calme, cultive une psychologie qui ne manque pas d’humour et des habitudes attachantes. Sa façon d’exercer son métier : l’intuition avant tout, des preuves qu’il inspecte sans gants bine sûr, et sa calme assurance, font de lui un héros complet et excentrique, toujours animé par de courtes réflexions sur son métier d’inspecteur dans les films ou dans les livres par rapport à sa réalité.

Heinrich Steinfest parie sur un nombre limité de personnages, toujours bien décrits, très visuels et savamment caractérisés. Chacun d’eux pourrait donner libre cours à une enquête à lui tout seul, tant la mélancolie, les passions, l’entièreté et l’étrangeté humaine de ces personnages opère. A la lecture, on pourrait presque les palper, les comprendre, leur parler : Heinrich Steinfest a un don indéniable pour faire vivre ses personnages.
Quant aux descriptions, elles ont un charme classique agrémenté de nombreuses touches originales qui mélangent dérision, philosophie, remarques et rituels inattendus.

La construction de Requins d'eau douce, simple, en dit pourtant beaucoup sur l’itinéraire de Lukastik : d’abord vertical avec le toit de l’immeuble, le trajet de l’inspecteur est ensuite horizontal lorsqu’il se rend à Zwettl pour les besoins de l’enquête. Le retour à l’immeuble viennois, lors du dénouement, est aussi un retour à la verticalité, dans lequel l’eau rappelle le « ça » freudien. Requins d’eau douce est bien plus qu’une enquête policière : c’est aussi une expérience philosophique et un voyage initiatique pour Lukastik qui va approcher des zones d’ombre grouillante.

Heinrich Steinfest réussit à combiner un roman policier à des réflexions philosophiques basées sur Wittgenstein et son Tractatus logico-philosophicus, une vraie bible pour Lukastik.
Le suspense intervient à plusieurs reprises, des indices indiquant aux spectateurs l’éventualité du traquenard ou de la catastrophe. Il suffit d’une piscine pour craindre l’apparition d’un requin - Heinrich Steinfest réussit à nous faire croire à l’impossible.

Quelques détails scénaristiques sur la fin laissent suggérer de petites incohérences et de curieux hasards, qui ne gâchent pas le plaisir pour autant, tant les personnages semblent proches et vrais.


Requins d’eau douce sort en librairie le 5 janvier, aux éditions Carnets Nord.
Et franchement, une adaptation cinéma aurait une certaine classe. Je croise les doigts.