Cadavre d’Etat réussit un pari déroutant : il tient en haleine le lecteur avec un suspense savamment distillé, une construction labyrinthique et bien menée, en faisant du milieu politique (plutôt ennuyeux) une sphère d’une noirceur obsédante. Le livre est vite terminé, très vite.

Le style, qui adopte tout un vocabulaire peu connu du grand public est irrésistible : les abréviations, l’argot, donnent l’impression d’être des mots secrets, compliqués, qui ajoutent un nouveau miroir aux alouettes à Cadavre d’Etat, incrusté de faux semblants et de diverses manipulations.

Pour une telle enquête, il fallait un personnage charismatique : Coralie Le Gall, jeune femme fragile à la suite de la mort de son fils, au goût plutôt chic et au tempérament bien trempé parcourt le roman avec une classe sombre et dynamique. Attachante et mystérieuse, elle donne au lecteur une double enquête, comprendre qui a tué Vaslin et apprivoiser avec le temps ce personnage principal qui se confiera peu à peu sur la mort de son fils. Pour seconder Coralie, une équipe de choc composée de ses partenaires de la police et les renseignements d’un jeune énarque tout aussi attachant et mystérieux : Jean-Marc Ledauchy.

Cadavre d’Etat ne connaît pas les lueurs d’optimisme. L’auteur donne ici une vision d’une France d’un noir de jais, où les politiques, les médias et les entreprises se soutiennent mutuellement dans une atmosphère crapuleuse et meurtrière. Les politiques sont sans doute les pires, Claude Marker distinguant comme source la plus dangereuse du mal ceux qui le font en pensant faire le bien.
Cadavre d’Etat ne rassurera aucun lecteur, d’autant que sous les noms des personnages peuvent survenir par-ci par-là des personnalités bien connues du monde politique : Michèle Billetot, ministre de l’intérieur n’est pas sans rappeler (rien qu’avec son prénom et son poste) Michèle Aliot Marie, Neyrac peut être associé à Dominique de Villepin, etc.
Savoir quelle est la part de vérité importe sans doute peu, l’essentiel se situant dans un polar bien mené qui impose au lecteur un réveil brutal et interrogateur sur notre société contemporaine et le monde politique français.


Quelques petits extraits qui donnent une idée du style et des points de vue de l’auteur

« A quatre heures de l’après midi, je suis dans le bureau de monsieur Yves Rebière, ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation, de l’Aménagement du territoire, de la Ville, de l’Intégration et, accessoirement, des Cultes, des Polices parallèles et des Dessous bréneux de la princesse. »
p 161, Cadavre d’Etat, Claude Marker

« Tous les trois, nous nous entendons bien ; nous nous complétons. Au point que parfois notre complicité indispose notre patron, le divisionnaire Laubreaux. Grande figure de l’incompétence policière et de la réussite par la manigance syndicalo-politique, Laubreaux Gilbert ! Finalement, presque touchant : né hérédocon, comme d’autres naissent hérédosyphilitiques, il a compensé son inintelligence génique par une veulerie sans faille ; il s’est débrouillé comme il a pu avec un bagage déficient… »
p 42, Cadavre d’Etat, Claude Marker

« Et maintenant je les découvre… fous… Inconscients du mal. Inconscients du mal qu’ils causent, des souffrances qu’ils provoquent. Inconscients que le vol est mal, que le meurtre est mal…
Ils sont le mal. Et ils ne le savent pas.
Et, dans leur folie, ils croient même qu’ils sont… le bien. »
p 377. Cadavre d’Etat, Claude Marker


Le livre est disponible aux éditions Carnetsnord.
Merci à Chez les filles pour sa découverte.