Mécaniquement, il déchire les dizaines d’enveloppes, pris d’une folle envie de tout brûler, de partir loin ; loin de ce vide qui l’étreint, et que les autres interprètent comme de l’amour. Aucune des enveloppes ne recèle un seul mot. Emile observe attentivement l’intérieur, déchire tout ce blanc, qui, comme des plumes, descendent lentement se fondre sur le sol mouillé. Un petit livre de poche, emprisonné dans l’amoncellement des impôts, semble le regarder. Emile tressaille. Le livre porte son nom. Une brève hésitation le nargue ; prendre le livre, ou non, et l’intérieur du livre ; Emile transpire ; y a-t-il un intérieur, trouvera-t-il des mots ? Une démarche automatique, dépourvue de raison, l’amène dans l’obscurité de sa maison. Maintenant, voilà qu’il faut allumer, se traîner vers la table, s’asseoir, pour éviter de s’effondrer dans une peur rigide. Emile respire ; il faut se ressaisir. Après tout, qu’est-ce qu’un livre ? Si les mots sont absents, pourquoi ne pas les inventer lui-même ? La couverture disparaît dans la blancheur inacceptable de la profondeur ironique. Emile, fou de douleur devant ce vide odieux, saisit un stylo rouge. Ses gribouillis lui donnent une impression bizarre de douleur ; une souffrance aiguë, physique, qu’il hait autant que ce vide. Pourtant il continue, s’évertue. Comme un petit enfant. Il trace des lignes droites, déviées, des cercles, des points qui bavent sur les fines pages. Le long du visage d’Emile, des boutons, des coupures, cisaillent la peau tuméfiée. Les violences descendent vers le torse, envahissent le corps. Le livre ploie sous l’agonie, tandis qu’Emile s’acharne, toujours davantage, à demi-conscient de son corps qui change, et tombe sous les coups de stylo qu’il s’inflige.