D’ailleurs, Emile n’a pas vu un film au cinéma depuis des mois. Le voilà qui accourt, attiré soudain par la salle obscure, et par ses projections fantasmatiques. Il suffit d’un billet, un seul, pour un film, choisi bien au hasard, le fauteuil plus très neuf et ses accoudoirs sales. Emile sent revivre une lointaine jeunesse. Il observe autour de lui, ivre de désir, le noir fondre sur la salle illuminée. Les gens ne parlent plus. Certains se mettent à rire, beaucoup. Le temps semble long maintenant ; la publicité, le film, n’apparaissent pas, et ces gens le sourire aux lèvres, efficaces dans le fonctionnement du rire, semblent à Emile un groupe de benêts. A ses côtés, une femme se gausse à gorge déployée. Emile se retient de lui demander ce qui la fait tant rire, d’autant que ses yeux sont fixés sur l’écran vide. Un rire ironique l’emplit. Face à tous ces êtres, riant dans l’attente, lui se moque, les regarde. Une demi-heure passe avant qu’Emile ne sente un grand malaise l’envahir. Les gens continuent de rire, et ce sont des centaines de paires d’yeux qui, rivées à l’écran, ont oublié la vie réelle.
- Madame ?
Elle n’entend pas. Emile réitère, sans trop d’espoir. La femme sent finalement la main d’Emile sur sa manche.
- Le film est commencé depuis longtemps ?
- Je ne sais pas. Vingt minutes tout au plus, vous n’avez pas raté grand chose.
Emile, saisi d’une peur panique fixe l’écran en écarquillant les yeux. Il ne voit rien.
Le soir, revenu chez lui, dépité, il sort de la boite aux lettres une vingtaine d’enveloppes vides, chacune indiquant un autre lieu de rendez-vous. Les adresses indiquent par alternance des restaurants, des cinémas ou des théâtres.