Emile écoute d’une oreille distraite le vrombissement du moteur ; il sent que le chauffeur veut déballer des saloperies sur sa destination. Il en est satisfait.
- Racontez-moi donc, ce n’est pas souvent qu’un chauffeur de taxi est aussi calé en géographie.
- Bien, vous allez voir votre étonnement ! La Martingale-sur-Vaire, était experte dans l’art des cordes et des boucheries.
- Ah, effectivement.
- On raconte même qu’un grand artiste y a vécu. Je ne sais plus très bien son nom mais vous le connaissez peut-être. Il est célèbre.
- Qu’a-t-il crée ?
- La corde rouge ; c’est à dire qu’il utilisait les cordes à la boucherie. Quelle économie de peinture !
- Je ne vous le fais pas dire.
- Il a fait quelques expos dans la capitale. Ça n’a pas trop marché ; les gens avaient peur, et puis, vous savez bien, le sang noircit très vite, la couleur ne tenait pas longtemps. Lui qui était bon vivant, plein de vie, vivable en somme, heureux de l’existence, voir le rouge devenir noir, ça non, il n’a pas supporté. On raconte qu’il a disparu mais les ragots, je ne m’y fie pas moi. Faut faire confiance aux gens, mais attention ! Pas n’importe lesquels. Tenez, on arrive monsieur, 106 n’est-ce pas ?
- Tout à fait. Vous avez une chouette mémoire.
- Je vous souhaite donc bon appétit.
- Après tout, dit Emile sans trop comprendre, si ça peut vous faire plaisir.
- Je peux me poster dans la rue et vous attendre, si vous voulez.
- Oui, c’est une bonne idée, effectivement.
Emile descend et scrute, surpris, le restaurant du 106 rue du Général Lacrème.