- Tout se passe comme si je croyais avancer, et que je n’avançais pas, maugrée John dont la mauvaise humeur rend les parages électriques.
Bien évidemment, l’aventure se termine comme il se doit : John, à bout d’éclairs, demande à Johanna de suivre à terre, en courant. La jeunette s’exécute tant le visage lumineux de John contraste avec la pénombre douce et silencieuse de cette forêt aux feuilles bleues. Pourtant, la course est de courte durée : après quelques mètres, Johanna, à bout de force, s’écroule sur le chemin en ânonnant de drôles d’imprécations que personne n’entend, puisque John, déjà loin, arrive à hauteur d’Ernest.
- Hé, l’ami, dit John en pointant son pistolet vers son interlocuteur, donne-moi ta quête.
Le cavalier, lentement, se retourne et fixe John de ses prunelles enflammées.
- Ça, dit John, qu’est-ce que tu as fait à tes yeux ?
Un sourire aux lèvres, Ernest fait signe à John d’approcher. Il se retient de rire tandis que Capsoul approche, les oreilles dressées en arrière, et que John, la main curieuse et baladeuse, avance lentement la main vers l’épaule de ce second héros.
- Oh ! lance John estomaqué. Mais tu n’existes pas…
Et le cow-boy, pour s’en persuader, passe et repasse la main à travers l’absence de consistance d’Ernest, ébahi mais pourtant détendu car comme il pourrait dire : il en a vu d’autres !
- Bon sang, Ernest, tu es déjà mort pendant ta quête… Je pourrais te la reprendre, si tu veux, ça te délivrerait de ce triste état de fantôme où tu es…
Comme seule réponse, l’étrange image du corps éclate d’un rire sinistre et froid qui ne perturbe nullement le cow-boy tout à son babillage.
- Tu reposerais tranquille, parmi les tiens… Et moi je te vengerais, en essayant de triompher pour moi, je veux dire, pour nous, enfin, pour ta mémoire. Que je m’exprime mal… Mes pensées viennent une fois sortis tout un tas de détritus que je ne m’explique pas : pour moi… Comme si j’étais égoïste ! Enfin tu me connais. Les autres avant tout, et toi mon bel Ernest, le meilleur d’entre nous avec moi, il me semble que je dois t’aider et venger cette instance (quelle qu’elle soit) qui t’a fait ça. Je le dis haut et fort, je le proclame, assez ! Je suis près à risquer ma vie pour toi, vois comme tu peux m’être redevable !
Capsoul, quant à elle, regarde irrémédiablement l’étrange cheval passer d’un bel alezan clair à un bleu qui, lentement, s’enfonce dans les graves, jusqu’à foncer dans un même mouvement les jambes d’Ernest.
- C’est bien, dit John qui a remarqué le mélange. Un cow-boy qui se respecte ne fait qu’un avec son cheval et je suis heureux que celui-ci soit mort avec toi et ne t’ai pas abandonné au moment de mourir.
A présent, le bleu foncé a envahi jusqu’au visage d’Ernest, qui ressemble à un encrier prêt de suinter de toutes parts. Pourtant, John ne s’offense nullement et continue à partager ses opinions quant au futur de celui-ci. Derrière eux, le sol affiche ça et là de drôles de gouttes bleutées qui, séchant instantanément, semblent avoir transformé la forêt en un buvard géant.
- Si tu peux retrouver Anna (c’était une grande amie de ma mère), j’aimerais vraiment que tu puisses lui apporter tous mes vœux de bonheur. Je pense à Henri, aussi, parti dans la fleur de l’âge : un arrière-grand père si unique ! Dis-lui que pour lui, je veille jour et nuit, à l’affût des quêtes les plus ardues pour satisfaire son sens du tragique !
John, tout en monologuant, regarde bien sûr son interlocuteur dont les yeux, très jaunes, se teintent d’une couleur plus orangée, qui, John en a l’impression, le réchauffe littéralement, le brûle, maintenant, et John a si chaud en regardant ces yeux si vifs qu’il sent en lui bouillir son sang d’aventurier. Hypnotisé par les deux orbites enflammées, il se voit partir, sans savoir vraiment où, et c’est sans doute à l’instant où John s’évanouit qu’il comprend tout : Ernest ici présent n’est pas Ernest, il n’est d’ailleurs pas même le fantôme d’Ernest. Et l’arrière-grand père, s’il avait été là, et il semble qu’il soit là dans l’esprit de John car il le voit, grand et imposant répéter en insistant sur la syllabe comme si elle eut pu se volatiliser : qui ? Qui ? Qui ?