- Que vous êtes rigoureux ! Puisque je vous dis que mon Basile se repère à des milles à la ronde !
- Enfin, s’exclame JB, je ne vois pas pourquoi votre neveu aurait ce si grand privilège.
- Ah, John, si vous saviez ! Sa montre est si puissante qu’un rayon de soleil suffit à l’entrevoir à des milles et des milles. Un jour que l’électricité de tout Bénodet avait sauté, c’est mon neveu qui mena sain et sauf tous les bateaux au port.
- Mais, dit John, je ne vois pas vraiment ce qu’est l’élec…tricité. Est-ce une nouvelle race de chevaux, très clairs, qui permettraient à vous, pauvres marins, de repérer les cotes ?
- John, mon ami, je vous l’ai déjà dit dix fois. L’électricité, c’est une musique qu’on ne peut entendre, mais qu’on peut regarder.
- Vous m’excuserez, Steamer de n’entendre rien lorsque vous en parlez.
- Ah, l’ami, ça sera la surprise. Mais vite ! Matelots, activez-vous.
Le mousse Rolland passe par là, avec un tee shirt rouge sur le dos. Steamer, en le voyant, devient plus rouge encore.
- Quoi ! Rolland ! Change-toi immédiatement.
- Non, monsieur le capitaine.
- Répète un peu pour voir.
- Non. Je tiens à porter ma propre ligne de vêtement.
- Vingt jours de cachot pour cette insubordination.
- Mon capitaine, nous arrivons dans une heure.
- La punition est d’autant plus sévère. Tu es privé de terre. Et donne-moi ce tee shirt.
Alors, Steamer part à la poursuite du mousse, avec dans l’esprit le désir d’envoyer à l’eau cette tentative de destitution de lui-même dans le milieu marin. John, un petit vague à l’âme encore au cœur, se met à penser. Que cette traversée a été longue ! Deux mois… Le temps de tant de choses ! Il aurait pu découvrir les coutumes de Venise ou les vasques de Corse, les vagues de l’atlantique ou les galops en Bretagne sur de bons camarguais ! Préparer un mariage aussi, oui, ça lui aurait bien plu… Et approcher dans un même temps une mulette récalcitrante ! Mais enfin… Il se rattraperait sitôt sur la terre ferme ! Elle verrait, cette mer, comme il allait se venger en rattrapant le temps perdu ! « Deux mois en mer, c’est comme un long sommeil », pense alors John, et la mélancolie s’éloigne, parce qu’il sent le réveil et que ses pieds, à nouveau, rêvent de fouler la terre, et de monter Capsoul autrement que sur un bateau de trente mètres de long.
- Johanna, Johanna, crie-t-il. Prépare Capsoul, nous débarquons !
Devant John, en effet, Bénodet la grande se dresse, fière derrière son grand port inondé de bateaux.
- Ah, dit John, la terre ! la terre ! Je n’ai jamais été aussi heureux depuis un temps… incalculable… Je dirais bien… Deux jours, sans doute même trois !
Et déjà, le bateau amarré, Johanna et Capsoul à ses cotés, John, grand ambassadeur américain, descend.
- Johanna, mon fils, embrasse le quai pour moi, veux-tu. Dis lui que nous l’aimons, que sa force fixe et rigide nous plait et que la mer à ses cotés n’est qu’un indien qui manie trop le scalp.
Devant John, maintenant, s’avance un homme d’une vingtaine d’années. Air décidé, œil vif. « Un futur cow-boy en puissance », pense John en souriant. « Il porte même un jean, c’est dire. ».
- Basile Wii, dit celui-ci en tendant la main. Steamer vient de m’expliquer. Je vais vous aider.
- Enchanté, enchanté dit John en tendant la sienne. Je serai très heureux de vous aider moi-même, lance-t-il de manière à montrer que non, vraiment, il n’est pas en position de faiblesse et d’étranger.
- Mais, dit Basile, vous semblez très bien accompagné ! Qu’elle est belle ! continue-t-il en regardant Johanna.
John, qui déjà avait tourné le dos à son interlocuteur pour resangler son destrier se tourne à nouveau et caresse l’encolure de sa jument.
- Merci, elle s’appelle Capsoul, et croyez-moi, j’y fais très attention !
- Certes, répond Basile, très étonné.
- Mais je voyage aussi avec mon fils. Johanna, viens, que je te présente Monsieur Wii, de son prénom Basile.
- Enchanté, dit Johanna en faisant la révérence.
- Ah, toi ! dit John en remarquant le geste, dès que nous serons en ville nous t’achèterons deux ou trois jeans. Ces robes me dégoûtent et te font faire des choses indignes d’un cow-boy. Bon, dit John, je ne m’énerve pas devant notre nouvel ami, ce serait indécent. Où est votre troupeau ? Plus d’une centaine m’a-t-on dit et je ne les vois guère… Les avez-vous laissés au champ ?
- Ma PT Cruiser décapotable est garée en double file, répond Basile.
- Johanna, dit John en regardant son fils, regarde bien cet homme car c’est un homme de goût… Basile, votre jument doit être merveilleuse. Allons la voir de suite et regardons si elle s’entend avec Capsoul, première du nom !