- Très cher compatriote, quels bateaux pour l’Europe ?
L’homme en indique une bonne douzaine, si bien que John, dans le doute, ne sait plus trop quoi faire : le choix est important, il faut trouver la meilleure des montures. Johanna, qui, depuis qu’elle voit sur le quai se multiplier des marins et des mousses tout à fait magnifiques, commence à trouver le temps long.
- "L’Hortensia", John, embarquons-nous sur "l’Hortensia".
- Et pourquoi lui ? dit-il bien embêté. "Désir d’été" me parle. Quant à "Pinède Saharienne", son exotisme m’émeut. Vraiment, je ne sais pas quoi faire, et maintenant que j’y songe, je pense que retarder notre périple de quelques jours serait une forte gain de temps.
- Si j’étais vous, dit alors le marin resté à coté d’eux, je partirais ce matin… Mon petit doigt me dit qu’une longue quarantaine pèse sur tous ces bateaux. C’est l’instinct du marin qui vous met là en garde.
- Tiens, dit John, quelle idée ! Est-ce qu’un cow boy met son cheval en quarantaine !
- Non monsieur, mais il le soigne et cela prend du temps.
- C’est juste. Vous m’avez convaincu. Quelle est votre monture, l’ami ? dit J.B en faisant un clin d’œil.
- "Black Sepulture", monsieur, un bateau on ne peut plus sûr, régi par un capitaine admirable.
- C’est très bien ! exulte John. Le cavalier fait la monture et vous m’avez l’air d’un courage hors-pair. Menez-nous bien vite, que je découvre ce bel étalon ! J’ai besoin d’un homme sûr dans le bateau, ça sera toi, euh… Dis-moi… Un nom ? Ton nom, c’est quoi ?
- John Gold. Mais vous pouvez m’appeler Gold, ça me rend très aimable, dit l’homme en souriant légèrement.
- Ça ! dit John ! Quelle surprise ! Je suis John aussi ! John Bonhomme ! Appelez-moi Bonhomme !
Le marin, très content, sourit alors de toutes ses dents, si bien que Johanna en découvre des noires, des dorées, et des rouges. La dentition étrange, qui effraie la jeune fille, satisfait John au plus haut point. Depuis un exil de quelques mois aux Mexique, celui-ci avait en effet découvert la pratique de l’art sur corps, en la personne de Maitre Gilles Nocette qui, depuis son plus jeune âge, avait choisi pour toile son corps tout entier, n’utilisant comme peinture que le noir et le gris, en hommage au mulet de son cœur, garde et merveille de la propriété de celui-ci.
- Il faudra me prêter ton matériel, Gold. J’aime la vision du monde que tes dents dévoilent.
- Allons, allons, dit Gold tout heureux et presque grimaçant. Il se fait tard ! Nous parlerons sur le bateau.
- Tu entends, Johanna, note John, voilà des hommes qui savent vivre. Six heures sonnent à peine et voilà que l’on est déjà en retard ! Vois un peu comme ils sont dynamiques. Nous devrions, comme eux, nous astreindre à de pareilles valeurs.
- Là, là, dit Gold une minute plus tard, c’est tout à fait là.
Et cela fort heureusement, puisque le "Black Sepulture" est le dernier bateau arrimé. Plus loin, le quai disparaît, laissant la place à d’épais rochers aiguisés d’une noirceur miroitante. Johanna, pour qui l’association d’idée est une philosophie, croit y voir la dentition de Gold. Elle frissonne. Quelque chose en elle lui murmure de ne pas prendre le bateau. Ce bateau. Elle est sur le point de partager ses sentiments à John lorsque, sur le pont, apparaît un jeune homme d’une vingtaine d’années. Johanna n’a jamais vu d’homme aussi beau : la chevelure de cette apparition ondule sous le vent du matin, si blonde que le soleil ne semble plus qu’un simulacre d’étoile. Dans les cheveux de cette beauté, il semble que tout l’univers se soit réuni, laissant resplendir dans les yeux bien plus de planètes que n’en contient tout l’univers. Des astres bleus, des astre verts, des astres d’or. Et là, Johanna voit, lentement, la main se lever, lui faire signe. John à cet instant, invite Capsoul à avancer vers le bateau. Johanna, dans un état d’euphorie si fort qu’elle ne peut même pas crier, se contente de regarder, un sourire magnifique aux lèvres, la montée vers cet ange du ciel qu’elle aime, et qui devra l’aimer.