Le théâtre des Amandiers, à Nanterre, a créé un partenariat avec l'Opéra National de Paris : pendant le mois d’avril, Les Noces de Figaro quittent Paris pour la banlieue. Ce n’est plus le spectateur qui vient aux artistes, mais les artistes qui viennent au spectateur.

Evidemment, il manque la salle de l’opéra : les balcons, ses murs luxueux, son atmosphère envoûtante, mais le spectacle, joué dans une salle plus petite, gagne en vigueur et propose une proximité avec les chanteurs bien plus intéressante. Aux Amandiers, personne ne peut se plaindre de ne pas voir les deux tiers de la scène…

La pièce en elle-même, Les Noces de Figaro, est un délice classique et magique. Des thèmes musicaux reconnus, d’autres découverts : le bonheur n’est pas loin. L’atmosphère, mêlée d’intrigues amoureuses, saupoudrée d’humour, entre déguisement et travestissement, ravit. La légèreté est là : Figaro et Suzanne, pour se marier, vont tenter de déjouer les tentatives du Comte, qui, lassé de la Comtesse, s’est épris de Suzanne. Entre tous ces adultes amoureux, le jeune Chérubin qui commence à aimer, lui aussi. La pièce parle d’amour, badine, et la musique, frivole et profonde, démultiplie l’intrigue.


Pourtant, le décor reste très décevant : terne, embarrassé d’une pièce d’état civil sans grand intérêt, il jure presque avec la performance des musiciens et des chanteurs. Au-dessus de la scène, un autre décor, qui prend un tiers de la hauteur de la salle, mais que même l’entracte ne parviendra pas à faire descendre comme décor principal ! Tout simplement, ce n’était pas prévu, même si son agencement pouvait très bien représenter le dernier acte dans le jardin : des animaux en peluche, peu de lumière ; une atmosphère en demi-teinte, magique. Et pourtant, les cinq actes se dérouleront dans l’autre décor… Dommage…

Moderniser Les Noces de Figaro, voilà sans doute la raison de ce décor neutre et terne, mais qui aurait pu être moderne, et beau en même temps. Heureusement, les jeux que le metteur en scène se permet avec le texte sont savoureux : pendant que Chérubin découvre que Suzanne lui montre la coiffe de la Comtesse, un décorateur installe le fauteuil. Chérubin et Suzanne le regardent, avant de reprendre au moment de la découverte de la coiffe. Le décorateur revient, regards à nouveau, reprise encore de la même découverte. Un petit jeu bien fait, qui rappelle l’artificialité du théâtre, et fait mouche, à tous les coups.

Chérubin reste mon personnage préféré, même si le costume ne met en valeur ni le personnage, ni l’actrice. Car c’est une jeune fille qui incarne le petit page : Christine Schafer, dont la démarche, les postures, entre timidité et spontanéité, créent un personnage attachant et multiple. Jouer un opéra, et jouer un jeune homme quand on est une jeune fille : un exploit bien remarqué des spectateurs. Chérubin a droit à un tonnerre d’applaudissements.
Marcellina a été pour moi une seconde révélation. Dans la pièce de Beaumarchais, elle a, pendant une bonne partie de la pièce, le mauvais rôle. Mais lorsqu’elle devient la mère de Figaro, elle propose sur scène une chanson sur l’entraide des femmes en usant de tout ce qu’une chanteuse moderne pourrait proposer : mouvements, venue vers le public, etc. Là encore, un léger décalage se crée entre la prestation physique et la voix mélodique, accompagnée par l’orchestre.

Le metteur en scène, Christophe Marthaler, a vraisemblablement voulu donner à chacun son moment de gloire : ainsi, tous les seconds rôles ont leur chanson personnelle, ou, en tout cas, leur pratique personnelle. L’un chante sa peau d’âne façon un peu rock, l’autre joue de la musique avec des verres en cristal de tailles différentes : un moment digne d’un conte de fée. La conséquence de ces étirements : quatre heures de représentation, ce qui est sans doute un peu trop pour la spectatrice novice que j’étais ! Difficile de rester aussi longtemps attentif à ce spectacle complexe et inhabituel, où le spectateur, même assis sur son fauteuil, semble courir un vrai marathon. La preuve : l’état de fatigue dans lequel nous nous sommes retrouvés en sortant du théâtre !

Une expérience à tenter, en tout cas, mais à réserver en avance, et à bien choisir : tout le monde n’est pas prêt à écouter un opéra en allemand, ou même en italien… Car la plupart des opéras restent je crois dans ces deux langues, et lorsqu’on ne les parle pas, il reste la traduction proposée dans un écran au-dessus de la scène, mais le même problème se pose que devant un film en version originale sous titrée : regarder le texte ou les images !
Un point positif, pourtant : aborder la langue non pas par son coté signifiant, mais par les émotions qu’elle nous transmet par la seule saveur d’une nuée de syllabes.