Quand on aime écrire, on passe généralement par sa phase poétique. J’ai eu la mienne, à la fois sombre et hallucinée, mais aussi nostalgique, pleine de souvenirs. Pendant plusieurs mois, la poésie rimait pour moi avec l’Afrique. Toutes les sensations de mon voyage au Niger, les expériences, j’avais besoin de les traduire en mots, en rimes : en musique, en dance. La poésie me semblait plus vivante que toute autre forme de littérature.

En même temps, je dévorais les recueils de poèmes : Rimbaud, Verlaine, Hugo, Mallarmé, Apollinaire, Bonnefoy, et je m’y réfugiais comme si la poésie avait la force d’apaiser mes peines, de transformer mes angoisses en les rendant plus belles, comme si ce que tous ces hommes écrivaient étaient la traduction, quelquefois, des sentiments que je pouvais avoir. Longtemps, j’ai dormi avec les poésies de Mallarmé à coté de mon lit, comme une présence, une protection.

Il y avait ce poème, Brise Marine, appris par cœur en prépa, dont je me souviens encore.
''La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!''

Le vers que je préfère, c’est le premier, mais les deux autres le rattrapent presque dans l’émotion qu’il me renvoie. La mélancolie qui s’exprime dans ce premier vers est pour moi totale, même si elle n’est expliquée que par douze syllabes : une chair, triste, et des livres tous connus, dont le refuge est, dès lors, inefficace. Réalité de la matière et imaginaire qui, dans leur affirmation, ne peuvent plus rien. Car Mallarmé n’emploie pas la négation : sa mélancolie lui arrive par l’affirmation, et rien que cette idée me rend ce vers magique. Maintenant, lisez-le, en rythme, et sentez cet imperceptible soupir qui se dégage du mot livre.

Et vous, quel est pour vous votre plus beau vers ? Est-ce possible d’en préférer un à tous les autres que l’on connait ? Est-ce possible d’en écarter un de son poème ?

Post scriptum : je n’avais pas idée, au début, de poster dans un même billet mon expérience de la poésie et des poètes si célèbres. En écrivant au fur et à mesure, les deux se sont mêlés, les deux étaient nécessaires puisque pour moi l’amour de la lecture et l’amour de l’écriture sont l'endroit et l'envers, l'envers et l'endroit du monde.