Johanna, quant à elle, se fiche éperdument des rougeurs qui parsèment le visage de John puisqu’elle ne le voit pas et que de toute façon, elle préfère songer à Ernest, le bel Ernest… Toute la nuit le bel Ernest, au rythme du pas lent de Capsoul, au rythme d’un rêve sans cesse répété dans la cadence éternelle de l’avancée vers l’inconnu.
Et si John savait ! Ernest, parti en avance court par monts et par vaux : il rejoint Springfake à toute allure, et sitôt engagé dans la rue centrale pénètre à l’intérieur d’une boutique aux rideaux à demi tirés. Une vieille femme nettoie le comptoir en chantonnant une vieille rengaine de l’ouest. « Il court le cow boy aux bottes éperonnées, Il court le cow-boy à la barbe mal rasée. » Au tintement de la clochette installée à la porte, la chanson s’arrête et la femme tourne la tête si lentement que le mouvement en devient esthétique.
- Je peux vous aider ? demande-t-elle en souriant.
Ernest s’approche du comptoir, et, joli cœur, regarde un instant son interlocutrice et ce d’un œil si flatteur que celle-ci en rosit quelque peu.

∗∗∗


- John, où allons-nous ?
- Vers la vallée encerclée de montagne mon fils.
- Mais, le paysan n’a rien indiqué, et nous sommes partis si vite...
- Penses-tu ! dit John d’une voix assurée, j’ai le flair pour m’orienter vers l’aventure et regarde comme Capsoul avance avec assurance ! Elle sait où aller, il suffit de la laisser faire. Non mais ! Est-ce que c’est à toi de me faire des reproches déguisés ? Allons Capsoul, montre à mon ingrate de descendance tout ce que tu peux faire pour nous rendre héroïques !

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- Je cherche une carte de la région, madame, confie Ernest en posant à nouveau les yeux dans les pupilles de la vieille femme.
- Mais bien sûr, ronronne celle-ci en farfouillant sous le comptoir. J’en ai justement une qu’il me reste, là, je la gardais pour mon mari, mais je vous la donne, un aventurier tel que vous en a bien plus besoin.
Les yeux d’Ernest s’illuminent au moment où la commerçante pose la carte sur le comptoir. Ses mains s’en saisissent, il la déplie et inspecte la région en silence. Un sourire de plus en plus grand entrouvre ses lèvres.
- Vous trouvez ce que vous cherchez ?
- Et comment ! lance Ernest avec fierté. Tout est là, très précisément.
Les yeux de la vieille femme quémandent à cet instant d’autres renseignements avec une telle force qu'Ernest prend la parole.
- Je m’en vais découvrir la vallée encerclée de montagnes, s’exclame-t-il en réponse à cette question des yeux.
- Oh, merci, merci, répète la dame éberluée.
Ernest, beau prince, sort alors de sa poche un billet propre et neuf qu’il dépose dans la pâle paume de la vieille femme et tourne les talons, écoutant avec délice le bruit de ses semelles le long des lattes en bois. Dans le mouvement de la marche, ses fesses rebondies oscillent de droite à gauche, si bien que la vieille commerçante ne peut s’empêcher d’y rester fixée, les yeux écarquillés par le maintien et l’élégance de cet homme raffiné.
La clochette teinte à nouveau et la vieille, happée de plus belle par ses taches ménagères recommence à chanter d’une voix plus claire et plus sensuelle. « Il court le cow boy aux bottes sans âges, il court le cow boy au beau visage » et Anna, car tel est son nom, l’esprit tout occupé par l’apparition à laquelle elle vient d’insister sent ses joues rougir pleinement au moment où ses pensées, hurlantes, crient qu’elle est amoureuse et qu’il lui faut à tout prix poursuivre son amour.

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- Ola mon ami, tu as de beaux poireaux dans ton panier.
Le fermier regarde John avec des yeux éberlués. Capsoul, éreintée par la marche, traine les pieds comme un enfant qui irait à l’école et Johanna, à demi endormie, la bouche ouverte, ressemble à l’une des descriptions de ces sorcières faites au coin du feu lors des soirées d’hiver.
- Ça, tu as des poireaux mais pas de langue, c’est donc ça ?
- Non, non, balbutie le fermier.
- Bon, j’ai peu de temps l’ami. Indique-moi donc où est la vallée encerclée de montagnes.
- Bah qu’ c’est par là ! que l’homme dit en indiquant du doigt la première direction qui lui vient à l’esprit.
- Tu seras riche pour cette action, répond John en indiquant par un coup de talon qu’il faut repartir.
Capsoul, soupirant, se remet au pas et le paysan regarde, éberlué, l’étrange équipage partir dans la direction qu’il vient d’indiquer complètement au hasard.