Elle est née en 1954, à Châteauroux. Pour ses études, elle choisit la philosophie, et comme sujet de mémoire la notion d’ascèse dans la mystique chrétienne !
Là réside le premier paradoxe de Sylvie Germain (paradoxe qui n’en est peut-être pas vraiment un si on connait un peu la Bible et sa violence) : dans les romans de cette femme, la religion, le mysticisme et les mythes (Méduse, par exemple, dans l’Enfant-Méduse, ou Rhéa et Cronos dans Nuit d’ambre) côtoient des déchainements de violence et de sentiments que j’ai rarement rencontrés dans la lecture.

Sa prose est poétique, jusqu’au fond des phrases, et jusqu’au fond des mots. Rien que le nom des personnages nous en dit beaucoup : Nuit d’ambre, Baladine, Magnus… C’est une écriture qui frôle, pénètre, emplit. A fleur de peau, toujours. Fragile, et forte. D’un livre à l’autre, la perception de cette poésie varie : dans Tobie des Marais, il s’agit d’une poésie salvatrice, structurante, qui s’achemine vers la douceur, l’amour, le retour de la vie, et que l’on peut percevoir dans les mots de Raphael, ou au détour du marais poitevin. Nuit d’ambre choisit une poésie plus violente, entre beauté et laideur, enfance et bestialité, où l’enfant, d’ailleurs, n’est sans doute plus vraiment un enfant. Les mots qu’il s’invente l’enferment dans un monde où il n’est plus que ce « Prince-Très-Sale-et Très Méchant ».

Dans ce premier billet sur Sylvie Germain, j’aimerais aussi vous parler des principaux thèmes de ses livres. En lire déjà quelques-uns, c’est retrouver des constantes, des besoins d’écriture.

Il y a d'abord l'omniprésence de deux familles. La famille humaine, et la famille mystique (les mythes, les références à la Bible : tout une intertextualité qui tient une place importante dans la structure et la signification des œuvres). Pour ce qui est des personnages, ils évoluent par rapport à leur père, leur mère, leur sœur, leur frère : les liens d’amour, de haine, se tissent, les morts et les naissances rythment les pages. La généalogie et la malédiction s’y côtoient. Une sensation d’intemporalité visite le lecteur.
Or, cette sensation grandit si l’on prend en compte l’absence des technologies : pas de téléphone, d’internet, rarement des voitures. A la place, un personnage essentiel: la nature, et c’est un bonheur de la retrouver aussi vivante et démultipliée. Le rythme des saisons la transforme, elle se fait terrain de jeu et d’imagination, lieu de rencontre entre morts et vivants, dans la souffrance ou l’apaisement.

Dans ces mondes flamboyants, des enfants évoluent. Ou des bêtes. On ne sait plus très bien tant ces êtres, dans la souffrance, se forgent une haine de l’homme et une sauvagerie totale (Nuit d’ambre, L’enfant-méduse). Il faut aimer pourtant, pour vivre, alors ils s’accrochent aux mots, à l’imagination, à la nature, et de cette association naissent d’étranges phrases, qu’on n’imaginerait pas dans la bouche d’enfants. « Mes jolies chiottes délicates », dit Nuit d’ambre, toujours partagé entre de jolis mots et d’autres plus organiques ou plus blessants.

A travers le passé ou le présent de ces familles, l’Histoire est là, elle aussi. La seconde guerre mondiale, par exemple, dans Nuit d’Ambre et Magnus. Je n’ai jamais aimé les livres ou les films sur ce sujet là : il y en a eu trop, et trop semblables. Ici, il n’en est rien, car Magnus est le fils de parents nazis et sa mère lui a inventé une histoire ; un conte ; celui de sa famille, tuée par la guerre. Nuit d’ambre, opposé à sa famille, rejette lui la mémoire de la guerre car il est l’enfant d’après guerre et que l’Histoire, il s’en fout. Nuit d’ambre, c’est aussi un passage terrible sur la guerre d’Algérie, toujours dans cette poésie vivante, et belle. Confronter la beauté de son écriture aux peurs, aux morts, aux horreurs, Sylvie Germain sait le faire. Il en sort d’étranges questionnements, un certain malaise quelquefois (le lecteur découvre la beauté des mots et l’horreur de certaines actions en même temps), ou la sérénité, ensuite, lorsqu’un enfant nait ou que le personnage rencontre l’amour, le vrai, quelquefois.

Sylvie Germain écrit des trésors, sombres et lumineux, tristes et heureux. Je vous reparlerai de ses romans, au fur et à mesure de mes découvertes, et plus en profondeur.
Amis de la neutralité et du milieu, s’abstenir… Pour les autres : je n’ai qu’un mot à dire… Librairie !

« Car il fut terrible le cri de la mère, lorsqu’on lui rapporta le corps de son fils. Son fils premier-né. L’enfant de sa jeunesse, conçu un jour de pluie et de peau merveilleusement nue. Celui qui battait le tambour de l’attente du temps où l’ennemi occupait leur terre et retenait le père si loin de là. Celui qui s’était nourri d’elle et qui si longtemps avait dormi, joué, grandi à ses côtés, seul à seule. Le petit compagnon qui inventait l’espérance et la joie en pleine latitude-guerre. Son fils premier né, chair de sa chair, amour réalisé de son amour. Petit-Tambour. »
Nuit d’ambre, crépuscule du livre.