- Allons voir, dit John. Galope Capsoul, vite, car je suis curieux.
Il s’agit d’un vieillard, au teint basané et à la barbe bleue, les bras tendus vers le soleil couchant.
- Voici, dit le vieil homme, le seul péage de ce désert. Vous êtes bien mal tombés. J’abaisserai mon bras quand vous aurez choisi.
- Choisi quoi l’ami ? demande John avec intérêt.
- C’est l’enfant qui va nous le dire, se contente-t-il de répondre.
- Je veux bien, dit Johanna, mais je ne suis plus vraiment une enfant.
- Bon, donne-moi trois mots.
- Je vais prendre… réfléchit Johanna… Je voudrai… J’aimerai… Oui… Peut-être… Je sais, dit enfin Johanna. La main. Le voisin. L’incident.
- Bon, bon, c’est aisé. Je veux une phrase avec ces trois mots.
- La main de mon voisin a eu un incident, dit Johanna.
Déçu, le barbu leur laisse la voie libre. D’ailleurs, Capsoul est déjà partie, n’écoutant que son dynamisme légendaire.
- Elle a dû flairer quelque danger, murmure John pour lui-même.
Et comme le vent déforme les mots, Johanna entend : « Il a pu couleur quelque mauvais », ce qui ne la rassure guère quant à l’élocution de John et leur destin hasardeux.
Elle n’a pas tort, car le bel homme arrête soudainement son cheval. Un silence angoissant s’empare des dunes jaunes. Le cow-boy est prêt de rebrousser chemin quand tout autour d’eux émergent des dunes tout un cercle d’hommes tenant en laisse d’énormes lions.
- Merde, dit John tout bas. Les tigres ne lui ont donc pas suffi ! Il en a voulu d’autres !
Johanna, elle, ne sait trop désormais si elle doit rire ou implorer la vie. Son regard fixé sur les bêtes sauvages attachées la laisse même rêveuse. Ah, elle croit même se voir en regardant ces fauves immobiles ! Mais un homme s’approche, vêtu de blanc.
- Mac Visow ! s’exclame John. Il fallait donc que je te manque pour te revoir si tôt.
- La ferme, John. Tu n’es pas en position de force.
- Il est vrai, Mac, mais cela commence toujours comme ça, et tu le sais comme moi, les rapports de force changent.
- Zut, dit Mac. Je suis pas là pour papoter bordel de merde. Qu’est-ce que j’en ai marre d’un coup de ces conneries superfétatoires ! Si tu veux la vie sauve, maintenant, il va falloir choisir.
- Propose, propose.
Mac ricane, et montre du doigt Capsoul puis Johanna.
- Deux partenaires, c’est trop pour un cow boy solitaire. Je te laisse l’un ou l’autre. Ne te trompe pas. Tu as une minute. Autrement, je lance mes bêtes sur toi.
- Mac, dit John en toussant pour s’éclaircir la voix. Je n’ai pas de temps à perdre. Il est bien évident que je vais choisir celle que j’aime et que je connais depuis bien longtemps, celle qui est toujours là, en qui je peux avoir une confiance totale et aveugle.
Johanna, dont le cœur bat, se force à ne pas déclarer tout haut son amour pour John, mais le discours de celui-ci la transporte à un point tel qu’elle se met à rougir. Elle a comme l’impression de voler, ou de mourir, et c’est si différent que cette contradiction la tord dans son cœur de jeune fille.
- Ma Johanna, descends, vite.
Elle s’exécute, le regard un peu triste, déjà, de devoir perdre une si jolie monture.
- Mac, dit John, c’est à toi que je m’adresse. Prends bien soin de ma fille.
Et le voilà qui talonne déjà Capsoul, lancée au grand galop. Il ne reste bientôt plus du cow boy et de sa jument que de minces grains de sable qui tourbillonnent dans la brise légère. Johanna, encerclée par les bêtes féroces et leurs maitres n’ose bouger. Elle croit mourir.