Aller le voir ? Annoncer son échec ? Impossible…Johanna ne veut pas d’honnêteté si c’est pour retourner là bas, près du puits, dans le trou perdu en forme de ferme où on l’a élevée. Le soleil descend dangereusement le long de l’horizon. Johanna pense. Il faudrait tricher. Gentiment, bien sûr. Faire autre chose que ce cataclysme sableux où baignent isolées tant de pauvres balles. Bon, très bien. Vérifier s’il dort. Et s’il dort, retravailler tout le tableau, utiliser tout son art de la disposition, et ça, Johanna excelle, car mettre la table, elle sait le faire ! Il reste pourtant un problème : la porte de la cabane, qui bien évidemment grince terriblement. S’il dort, il sera réveillé… Alors le doux visage de Johanna se tourne vers Capsoul, le cheval de John. Bien sûr, la jeune fille n’en a jamais vu un semblable. La monture est, certes, assez petite, ventrue plus que de coutume, et surtout, de toutes les couleurs. Un patchwork. A bien regarder, on trouve du brun, du blanc, de l’orange, du noir, du gris, et même quelques taches roses. « C’est une apaloosa retravaillée » avait dit John, très fier. Il avait raconté, ensuite, comment le cavalier et la jument s’étaient trouvés. John, sans monture, perdu au fin fond des plaines américaines était tombé un jour de grande chance sur Ulrich, un marchand français, qui cherchait à vendre un cheval, du matériel de pêche et un lit de « dimensions extrêmement étranges » (il avait insisté là dessus). L’homme en question avait en effet spécifié que l’objet imposant appartenait à une célèbre famille de France, qui trouvait bon de partager ensemble la même couche. Il s’était révélé que le maximum atteint par ladite famille était monté à douze personnes, ce qui avait fait beaucoup rire le duc, puis le roi, qui avait ensuite décidé de tous les mettre à la Bastille pour leur montrer un peu qu’on pouvait bien battre ce record de couchage dans une seule cellule. Mais John, peu intéressé par cette histoire de mœurs, était resté fixé sur la beauté époustouflante du cheval. « Oh, cow-boy, c’est un tableau que cette bête. Tu l’achètes : tu seras très célèbre. On fera des peintures et des photos de vous, tu peux en être sûr. C’est une pièce de collection, au bas mot ! ». John, déjà presque amoureux, en était convaincu. Le nom de l’animal ne fit que le ravir davantage : Capsoul. Quel nom pouvait-être plus beau que celui-là ? Plus approprié ? Alors, John délia sa bourse, remercia le marchand Ulrich du fond du cœur et partit en selle, non sans quelque bizarrerie équine de la part de Capsoul, qui, comme le dit alors le marchand pour expliquer l’incident « n’avait pas été monté depuis un petit moment ». John n’en fut que plus heureux et Ulrich, décidemment transporté par l’attitude fantastique de son client lui offrit du fil de pêche et un hameçon pas encore trop rouillé. Le soir même, la nouvelle monture de J.B s’était à nouveau révélée surprenante : au pas dans la rue d’un village, Capsoul avait jugé bon de poursuivre un chien, qui ne lui avait rien fait, et ce sur quelques mètres, pendant une petite seconde : le temps qu’il fallut à John pour l’arrêter dans sa course. Furieux, John sauta lestement à terre et allait punir sa bête quand celle-ci décida de régler ses besoins sur la place publique. J.B découvrit alors que son étalon était une jument... Très étonné, il ne put lui faire la leçon : on lui avait appris, quand il était petit, qu’on ne frappait pas les femmes.