Elle pense « John, John ! », apeurée, se souvient alors de la terrible histoire de la veille, ne respire plus, quelques secondes, pour vérifier qu’elle n’a mal nul part et que son corps n’a rien perdu. Elle pose la main sur le bas de son ventre, expire, soulagée. C’est sûr, désormais, elle a passé la nuit sans heurts. Et John, alors ? La porte est entrouverte. Johanna s’avance. Dehors, le cheval n’est plus là. Le grattement reprend, plus fort cette fois-ci. La jeune fille regarde, hébétée, autour d’elle. Un plat désert l’entoure, et les premières dunes, au fond, se dessinent insensiblement, auréolées de drôles d’ombres charnues. Des cactus, sans aucun doute. Johanna ne sait comment se rassurer, elle hésite, il faut penser à quelque chose de gai, de beau et rassurant. Pourquoi ne pas penser à elle ? Que ses cheveux brillent ! Qu’ils sont doux ! Et châtains, comme il faut, avec, l’été, de drôles de reflets blonds sur quelques mèches, des reflets très légers, comme de minuscules rayons de lune. Il y a ses yeux, aussi, de beaux yeux verts assaisonnés de pépites brunes, sous un front bien dessiné, et de petites joues, bien douces et colorées… Mais on galope ! Johanna sort de sa description d’elle-même juste à temps pour tomber sur John, à cheval. Il n’a jamais été aussi beau.
- Ma petite fille, je t’apporte le petit déjeuner.
Il met pied à terre, regarde un instant Johanna, avec des yeux qui disent que oui, c’est sûr, il fera un cow-boy de cette jeune fille là.
Le porridge est encore tiède, saupoudré de sucre et auréolé de miel.
- Aujourd’hui, nous allons user du revolver, dit John. C’est la première chose que tu dois apprendre pour pouvoir te défendre.
- John… murmure Johanna.
- Oui?
- Comment connais-tu mon prénom?
- Nous parlerons plus tard, quand je serai sûr que ta vie n’est plus en danger, que tu peux te défendre sans moi. Mais dis-toi une chose : John, ton père, sait tout ce qu’il a besoin de savoir. Et j’avais besoin de connaître le nom de ma fille… Tu n’es pas d’accord ?
- Si, dit Johanna. Moi aussi je connaissais ton nom.
Elle reprend une cuiller de porridge, réfléchit.
- Je suis une héroïne de livres, moi aussi ?
John la regarde et éclate de rire.
- On n’apprend pas les noms des hommes que dans les livres… Et puis, il faudrait que tu sois un mythe… pour être dans un livre.
Il fait alors une pause très légère.
- Et un homme!
Il rit alors de plus belle, en montrant de belles dents blanches et aiguisées.
- Mais nous allons y arriver, et tu y seras, dans un livre, je te le dis, moi!
Un peu honteuse, Johanna sent ses joues rosir. Etre à la hauteur de son père, voilà ce qu’il faudrait pour qu’elle soit célèbre. Et la route semble si longue, et fatigante! Elle sent bien qu'elle va s'y casser les ongles, et cela l'ennuie quand même un peu, parce que c'est bien joli des ongles propres et longs.
Dehors, on n’entend pas un bruit. Un très léger vent soulève de temps en temps de petits grains de sable.
- Sur quoi tirer ? demande Johanna.
John dégaine alors son arme, vise, tire, pas très loin d’eux. La balle s’enfonce dans le sable et crée un mince tunnel.
- Quand tu auras agrandi ce passage, nous irons t’habiller en ville.