- John a perdu la mémoire, raconte Peter. Nous sommes venus la lui faire retrouver.
- C’est bien, c’est bien, très bien, poursuit Siméon en souriant. Pourtant, il est sûr qu’à ce moment précis, John, en plus de votre venue, aurait bien besoin d’un cadeau. C’est ici notre plus belle coutume, je crois : offrir un présent à son père, dès son retour de voyage, et dieu sait que le voyage de John a sans douté été long, puisqu’il est avec nous, ici, depuis bien trois mois et demi. Mais venez, venez, il faut le voir. Cependant, sans doute attendre un peu. C’est que, nos plages ne sont plus très sûres à cette époque. De petites, voire minuscules punaises des sables ont envahi nos côtes, et il faut dire, c’est important, qu’il est certaines personnes, les étrangers le plus souvent, mais aussi des locaux, cela peut arriver, qui développent une allergie relativement contraignante. Ma foi, je crois bien que votre père est de ceux-là, mais c’est un homme fort, et doux, c’est pourquoi je lui fais relativement confiance quant à l’expulsion du venin, ou, en tout cas, de la chose qui l’a tant fait gonfler en une petite heure, et dieu sait qu’une petite heure, dans une vie, n’est presque rien. Rien de grave, donc, simplement, il faut comprendre que si John ne peut vous reconnaitre, il est possible, vu le renflement du visage, qu’il soit réciproquement pour vous impossible de savoir s’il s’agit bien de lui. J’ai été assez court, mais je crois avoir été clair.
Johanna, perdue par ce long discours, ne sait ni quoi répondre ni quoi faire. Peter, hésitant, semble être confronté à la même impasse.
- Oui, le choc doit être difficile, poursuit Siméon. Les retrouvailles tant attendues, et ces petites punaises qui viennent dévisager le visage et s’ajoutent à la mémoire perdue ! Oui, quelle épreuve, cependant, il me semble que les chocs sont moins pénibles au soleil, dans une région comme la notre. Imaginez donc une situation pareille au Pôle Nord ou à Lille : le froid, les nuages, un voile de pessimisme au dessus de nos têtes, voilà qui serait terrible. Alors qu’ici, regardez : le ciel si bleu, la mer à vingt six degrés, ce soleil qui nous tanne la peau et endort le cerveau. Ah belle île en mer, de ma vie préférée, par mon corps adulée. Bienvenue à Tahiti, mes amis !
Siméon, toujours plein d’entrain, pousse les nouveaux venus vers la plage, mais Johanna, peu sereine depuis qu’elle a appris l’existence de punaises qui déforment le visage, hésite à mettre le pied dans le sable, et plus encore à se déchausser.
- Il faudrait me porter, dit-elle, je suis bien fatiguée.
Mais les trois hommes et le cheval sont déjà loin, et Johanna, soudain très intelligente, se dit qu’en courant elle a bien moins de chance de tomber sur les bêtes en question. C’est sans compter une mauvaise perception de la mollesse du sable et quelques paramètres bien complexes à saisir, tels que le positionnement des jambes pour courir ou encore la présence absolument incompréhensible de dizaines d’estivants.