La voix off le répète souvent : pour les médecins, et pour la société, ce sont des enfants incurables. Les images du film montreront l’exact opposé, comme pour dire, déjà, qu’il existe deux modes d’être au monde : le langage, et l’action, à laquelle appartient l’image cinématographique.
Fernand Deligny héberge donc ces enfants dans un camp, en pleine nature, avec le strict minimum. Il y a des éducateurs avec lui, mais ils ne sont pas là pour éduquer, et surtout pas pour parler. Le silence est de rigueur. Les éducateurs travaillent et dessinent. Ils travaillent la terre, ils dessinent des chemins. Dans le film, tout est espace. Fernand Deligny, dans cette approche de l’enfant autiste, remplace le temps par le lieu. Les éducateurs suivent les enfants, tracent les chemins empruntés, et analysent ensuite. Il en ressort un constat troublant : chaque enfant a ses habitudes, plus particulièrement cet enfant qui tourne constamment sur lui-même et se déplace par cercles. Que faire, alors, de tous ces chemins identiques, ces trajets réguliers, répétés ? Ne s’agit-il pas d’un monde, que nous autres, parce que nous maitrisons le langage, ne voyons pas au premier coup d’œil ? Est-ce une autre forme de logique, spatiale cette fois, non pas dictée par l’utilité mais par quelque chose d’autre ?
L’équipe tente alors de faire coïncider ces chemins avec les lieux utilitaires où elle travaille. Le résultat est impressionnant : ces enfants, que tous croyaient incapables, pétrissent le pain, ramènent l’eau de la source, aident à scier du bois. Ils se laissent prendre par la main, aussi, tout cela dans un silence de mots, où seule la nature a le droit de parler : l’eau de la rivière, les craquements du bois.
Les plans fixes sur des photos ou sur les trajets dessinés alternent avec des scènes quotidiennes qui montrent une vie simple, un minuscule village qui vit de son travail. Un film à voir, à connaître, pour son sujet difficile et pour garder le souvenir de cette tentative d’approcher ces enfants autrement, sans le langage, sans thérapie.
Vivre, simplement, entouré de nature et de mouvement. Le temps s’est arrêté. Il n’intéresse pas Fernand Deligny.
13
mai
Ce gamin, là : un film de Fernand Deligny
Par Ariane le mardi, mai 13 2008, 19:11 - Evénements
De temps en temps ; à un cours, ou sur un conseil d’ami, on fait d’étranges découvertes.
J’avais déjà parlé de l’une d’elle dans ce blog : le film de Jonathan Caouette; Tarnation.
Ce gamin-là sera la seconde. Ce film de Fernand Deligny date de 1975 et raconte, sous la forme documentaire, sept années d’une tentative originale de prise de contact avec des enfants autistes, dont la violence et l’incapacité à parler, s’est révélée un obstacle trop insurmontable pour les familles, et même pour les institutions psychiatriques.
Commentaires
Ma foi, la question de l'autisme m'intéressant (même si pas spécialement...), je te remercie de cette chronique, Ariane .
Le fait est que les autistes sont tout à fait hors-temps (et hors lieu), enfermés dans leur monde, incapable de communication avec l'extérieur, la "réalité objectale".
Je pense donc que Deligny a choisi de combattre le feu par le feu (je fais référence aux toutes dernières phrases de ta chronique ). Et si, il s'agit bien d'une thérapie, même si elle se déroule de façon atypique, totalement imprévue, pas dans un cadre institutionnel et traditionnel .
Au fond, je pense que le plus important pour un autiste et pour ceux qui l'entourent, ça n'est pas de tenter de communiquer avec le langage (puisque cela est impossible), mais d'amener la personne autiste au monde, à la vie (d'ailleurs, n'est-ce pas là sa demande principale ?) en la comprenant par des gestes simples sans parole, et vice-versa. C'est la seule solution, et Deligny semble l'avoir merveilleusement compris .
Il me semble que ces mouvements, habitudes obsessionnelles et TOC des autistes (par exemple, l'enfant qui se déplace en cercles) sont destinés à les prémunir d'une "décompensation", d'une dissolution totale de leur identité.
Tout ces systèmes sont destinés à consolider leur forteresse de l'invasion par l'extérieur .
Des gestes simples: tout à fait, pour entrer en lien avec le monde.
Et comprendre que le langage n'est pas la solution à tout...
ce gamin là, de Renaud Victor
Une vieille histoire à tenter au quotidien et malgrès tout.