Je n’ai jamais rien lu sur ces émotions étranges, planantes, qui restent en nous longtemps ou pas, et dont la qualité et le cauchemar dépendent, comme du vin, du temps où leur goût restera en nous. Lost Highway de Lynch est pour moi l’un de ces films. Le générique de fin est lancé, vous sortez comme d’un rêve, comme d’une sieste hallucinatoire et le monde dans lequel vous vivez – la réalité- vous semble autre, nouvelle. Dans votre esprit, vous pensez comme lui : comme le héros. Vous êtes halluciné, un peu fou aussi et les murs de votre chambre, la rue en bas de chez vous prennent une teinte irréelle et passionnante.
D’où cela vient-il ?
Des images et de la façon dont on les voit. Au cinéma, l’homme est passif : il regarde et va jusqu’à observer son entrée dans ce monde inconnu par l’identification aux personnages. La salle est plongée dans l’obscurité. Alors n’avez-vous jamais eu l’impression de venir au cinéma comme on va se coucher… On est assis, bien assis, et devant nous, l’écran s’ouvre sur nos rêves, nos cauchemars.
J’ai suivi un semestre un cours sur le cinéma fantastique et le rapport entre ce genre et le cinéma reste pour moi déroutant car similaire.
Il y a d’abord des ressemblances sociales : la salle plongée dans le noir, c’est la nuit et nos rêves, mais pourquoi ne serait-ce pas aussi ces chateaux et ces cryptes dans lesquels de terribles monstres sommeillent ?
Ensuite, le cinématographe, comme l’appareil photo interroge de nombreux dualismes : l’image est-elle la réalité ou son double, l’essence ou l’apparence, la vérité ou l’illusion ? Et il en est de même pour le documentaire, même si celui-ci dit traiter du réel… Il y aura toujours un choix : le choix du sujet, le positionnement de la caméra, les personnes interrogées… Or, les films d’épouvante interrogent les mêmes dualismes : dans la Féline de Tourneur, qu’est l’héroine ? Une jeune femme traumatisée par des légendes de l’est ou une jeune femme qui se transforme véritablement en panthère ? Dr Jekyll et M Hyde interroge lui aussi la dualité humaine : le monstre sommeille en l’homme de bien.
Je terminerai cet article par l’ultime pouvoir du cinéma : ramener les morts à la vie… Une personne gravée sur la pellicule, c’est une personne éternelle, dont la mort n’effacera pas l’image. Le cinéma, processus vampirique par excellence… La caméra, la pellicule, prennent un peu de vous, et vous voilà conservé pour presque toujours… Car si le film d’épouvante traite de la mort, des cimetières, il traite aussi de la vie par delà la mort avec comme plus bel exemple Frankenstein, issu de la littérature. Le cinéma, comme le scientifique Henri Frankenstein questionne l’au-delà et repousse sans cesse les limites humaines et naturelles de la réalité.