et Norbert Sigfried, aventurier benêt mais fort chanceux, s’était retrouvé le matin en compagnie du minuscule lapin. C’était lui qui avait passé un été à creuser un puits dans un petit village du Colorado. John avait connu la gloire en arrêtant les bandits de Fort Laudanum, à l’aide d’une décoction qu’un indien lui avait enseigné pendant son sommeil. De telles aventures, Peter le cultivateur en avait des centaines, et si, pendant une retraite paisible, l’envie lui prenait de raconter ce qu’il savait, le bonhomme était promis à une grande gloire.

En attendant, quel ennui ! Les aventuriers passent, et se ressemblent, et quand Peter croit entendre un pas léger et fluide, une intonation sensuelle et grave, un léger mouvement de branches, suivi d’un chant d’oiseau amoureux, il croit voir sa prière réalisée. Mais à chaque fois, c’est un gros homme à barbe, un filiforme en haillons, ou encore une voix désaccordée, un visage défiguré, qui surgissent. Et le beau John, John le magnifique, le vaillant, ne paraît pas.
Mais là, ici, et maintenant, Peter entend un pas familier, un bruissement ami. John n’est pas loin, il le sent, il est là ! Il sourit, s’avance vers l’arbre d’où viennent les pas, et s’arrête, abasourdi.
- Ah toi ! s’exclame-t-il. Mais qu’en as-tu fait ? Où est-il ?
Johanna, surprise par une telle fougue, manque de se prendre les pieds dans un reste d’haricots rouges.
- Je… dit Johanna. Nous avons été attaqués.
Peter fait les gros yeux, s’approche, menaçant.
- Et vous, s’écrie Johanna outrée, donnez-nous une aventure un peu moins fantastique la prochaine fois, voulez-vous. Mon père a perdu la mémoire, il est je ne sais où, sur une plage d’Hawaï, et il est prof de surf. Voilà ! J’ai couru des journées entières pour échapper à toute une clique de surfers professionnels, et vous m’accueillez en hurlant ? Vous devriez plutôt rassemblez ces quelques chiffons qui vous servent de vêtements, prendre votre cheval et partir en ma belle compagnie pour Hawaï ! Après tout, votre champ peut voyager.
- Hein ? dit Peter pour garder une infime contenance.
- Si John pioche un autre de vos foutus lapins, commence Johanna en s’impatientant, peut-être que cette quête lui redonnera la mémoire. Vous comprenez ?
- Oh, dit Peter en acquiesçant, oui oui, c’est bein possible.
- Qu’attendez-vous alors ? Plus vite ! Prenez vos lapins, vos torchons, et allons !
Peter est convaincu : dans sa fougue, il fait trois choses en même temps, sans se prendre les pieds dans aucun de ses effets personnels. Pourtant, un long silence l’arrête. Le chant des oiseaux se tait, les branches s’immobilisent, malgré un coup de vent glacial.
- Personne ne bougera d’ici, murmure une voix grave, fantomatique, austère, effrayante, et, il faut bien le dire, dénuée de toute humanité.
Johanna a peur, elle craint pour sa vie. Elle se laisse tomber vaguement sur le sol, ferme les yeux, et fait la morte.
Les pas, lourds et cloutés s’approchent, avant de s’arrêter au niveau du faux cadavre.