Les bases de l’enquête
Cimetières et villes : ruptures et réconciliations
Avant de rencontrer entre autre les habitants de la « maison encerclée », je décide de me renseigner sur l’implantation
des cimetières dans les villes en France. Dans l’Antiquité, par exemple, les morts habitaient des nécropoles à
l’extérieur de la ville. Comment, alors, le cimetière est-il arrivé à coté des habitations, et pourquoi dans les campagnes,
reste-t-il généralement à l’écart des villages? Les urbains sont-ils devenus voisins des morts uniquement du fait de
l’expansion des villes ? En une question : comment être voisin du cimetière est devenu possible ? Je me rends donc
dans la bibliothèque d’urbanisme de l’université, où je rencontre Catherine Loth, la bibliothécaire, qui me sort des
étagères un vrai trésor : Villes et cimetières en France de l’ancien régime à nos jours, de Madeleine Lassere. Le livre
explique les multiples évolutions dans les liens du cimetière aux villes et villages.
Pendant l’Ancien Régime, le cimetière occupait le centre des villes et villages, toujours à coté de l’Eglise. Il était en
revanche interdit aux promeneurs.
Le système est remis en question au XVIIIème siècle pour des raisons sanitaires : les cimetières sont considérés
comme des lieux insalubres et générateurs d’épidémies. Ils n’ont, de plus, aucune esthétique. Le voisinage se plaint,
mais aucune réforme n’a lieu jusqu’au scandale du cimetière des Innocents à Paris : le 30 Mai 1780, une fosse
commune de 2000 corps s’écroule et vient envahir les caves d’une maison voisine. Le cimetière est fermé
provisoirement en décembre, puis définitivement en 1785. Les ossements sont transportés pendant deux ans dans
d’anciennes carrières à l’extérieur de Paris ! Là encore, le voisinage du cimetière n’est pas calme et plutôt macabre
puisque les riverains assistent à ce défilé funèbre. Les cimetières paroissiaux de Paris disparaissent alors peu à peu.
Au début du XIXème siècle, le préfet de la Seine Frochot prévoit de créer trois grands cimetières extra-muros, au nord,
à l’Est, et au sud de la capitale. En Mai 1803, un terrain est acquis pour le cimetière de l’Est : le domaine du Mont
Louis qui va devenir le Père Lachaise. Pour Frochot, un cimetière est avant tout un lieu où doivent se conjuguer des
conditions d’hygiène convenables et des plantations : le cimetière s’ouvre désormais au public mais reste situé à
l’extérieur de la ville, comme le préconise la réglementation funéraire de 1804 : « Il y aura hors de chacun des villes ou
bourgs, à la distance de trente cinq à quarante mètres au moins de leur enceinte, des terrains spécialement consacrés
à l’inhumation des morts. ».
Les morts sont donc rejetés du territoire urbain, mais pour un temps finalement assez court puisque les villes vont
s’agrandir à leur rythme, et englober au fur et à mesure les cimetières dans le tissu urbain. Le voisinage avec les morts
revient donc cette fois-ci non par tradition religieuse (être proche de l’Eglise) mais par nécessité puisque les villes
s’agrandissent. Il en ressort une certaine tendance de la population à bouder cette nouvelle proximité avec les morts
qui n’est pas désirée. Je pense d’ailleurs à Dominique qui habite rue du Repos près du Père Lachaise et m’a
expliquée qu’une trentaine d’années auparavant, sa famille était quasiment la seule à vivre dans cette rue ! Autour du
cimetière et grâce à sa présence s’étaient développés de nombreux artisanats, dont des pompes funèbres ou des
tailleurs de pierre, mais, pas d’habitants. Madeleine Lassere explique effectivement qu’à partir du XIXème siècle, le
voisinage du cimetière devient attractif pour les commerces spécialisés : il est considéré comme un atout. Cette
constatation est encore valable aujourd’hui : avenue de Ménilmontant, par exemple, se succèdent les services de
pompe funèbres et les restaurants.
Dans le droit français, la loi de 1804 n’est modifiée qu’en 1937 où il est stipulé que la distance pourra être réduite ou
supprimée « quand les communes seront pourvues d’une distribution publique d’eau potable sous pression. ». Les
morts sont de retour chez les vivants, parce que ces mêmes vivants ont comme happé les morts dans l’enceinte des
villes.
L’espace des cimetières est donc un élément complexe dans la gestion du territoire : attractif pour les commerçants,
souvent répulsif pour les particuliers, il est aussi en perpétuelle évolution et reste depuis 1907 le seul territoire reconnu
de la mort puisque la morgue de Paris est fermée cette année là au public. La seule façon de côtoyer la mort dans la
ville, désormais, c’est le cimetière, qui met en place un culte des morts à la portée de tous et symbolise en quelque
sorte l’Histoire et le passé de la ville. La façon d’aborder le cimetière, on le voit, dépend de l’idée qu’on en a : un
espace mort, un espace de mémoire, un espace historique, etc.
La faune immobilière
Mais habiter à proximité d’un tel lieu influe-t-il sur le prix de l’appartement ou de la maison ? Y a-t-il des conditions
d’achat particulières ? Je me demande, par exemple, si une maison avec vue sur cimetière n’est pas vendue à un prix
moindre ou si toutes ces habitations ne sont pas en tout cas plus difficiles à vendre !
Je me rends donc dans deux agences immobilières de ma ville pour me faire une idée de cette question. Je recueille
alors deux versions différentes.
A l’agence indépendante Albert 1er, je rencontre Alexis Peclers qui, très gentiment, me fait rentrer dans son bureau
pour que nous discutions. Il m’explique que vivre à coté d’un cimetière n’est pas une question de prix mais plutôt de
subjectivité et surtout de superstition : il y a des personnes que ça ne dérange pas, d’autres pour qui une telle
proximité est impossible. En fait, ce qui influe sur le prix, c’est bien sûr la maison, et aussi la zone dans laquelle elle se
situe, mais, apparemment, la proximité d’un cimetière ne dévalue en rien les habitations. Par contre, il est vrai que ces
maisons ou ces appartement mettent plus de temps à se vendre, et que, par conséquent, leur prix peut baisser. Après
m’avoir expliqué cela, il se presse de spécifier que le prix peut baisser pour diverses raisons : une vue sur une barre
d’immeubles ou une orientation moyenne, par exemple, c’est pour lui bien pire qu’une vue sur un cimetière. Je trouve
finalement en M. Peclers un ardent défenseur de ces habitations proches des morts, tant et si bien que j’ai même
l’impression qu’il souhaite me convertir à ce voisinage pour plus tard ! Suis-je passée du statut d’enquêtrice à celui de
cliente ? Peut-être un peu. M. Peclers prospecte sûrement pour l’avenir. Des visiteurs qui partent sans même visiter,
une fois le voisinage découvert ? Il en connaît et trouve leur réaction regrettable, même s’il a conscience que ce
voisinage peut déprimer plus que de raison. La peur irraisonnée et la trop grande subjectivité des clients le dérangent,
sans doute si elles retardent les ventes.
Notre entretien se finit par un petit conseil : aller voir l’Agence Principale qui, dit-il, est bien plus « commerciale »!
Me voilà donc dans cette Agence. L’accueil est en effet très différent : Mme Stéphanie Gomez m’explique qu’elle
attend des clients, qu’il faudrait revenir. Je tente pourtant un début de conversation puisque je ne vois pour le moment
personne ! Pendant qu’elle travaille à moitié, elle répond à mes questions, et me plaint, vraiment, de devoir faire une
enquête sur un sujet si embêtant ! Cela me fait sourire, moi qui trouve ce sujet passionnant. Pour elle, en tout cas, la
proximité du cimetière a une incidence très nette sur les habitations : elles sont plus compliquées à vendre et la baisse
de prix est obligatoire. Une vue pareille ferait baisser le prix de facilement 5%. Je sens dans ses propos que cette
agence évite d’avoir à vendre de tels logements qui, plus compliqués, exigent un temps et un travail supplémentaires.
Je lui demande, par curiosité, s’il y a des personnes qu’ils n’envoient jamais visiter des maisons avec vue sur
cimetière. « Ceux qui veulent une vue extraordinaire » me répond-elle. Un tel point négatif, en réalité, demande à
l’habitation d’être parfaite. Si elle l’est, c’est déjà plus simple, mais c’est la trouver qui s’avère difficile… Alors, oui, il
faudrait un mur, pour cacher un minimum, et même un maximum. Pour Mme Gomez, la proximité, et surtout la vue
d’un cimetière n’ont aucun avantage, et je comprends bien que cette répulsion va avec son opinion sur mon enquête !
Au moins, c’est clair. Toujours est-il que vivre avec vue sur cimetière peut, en tout cas, être une bonne affaire
financière.
L'éternel voisin: mon dossier d'enquête pour la Femis. Débuts de l'enquête
Par Ariane le lundi, février 25 2008, 13:20 - Enquête Femis
Depuis début 2010, je propose sur ce blog la première partie de mon enquête (17/20) en lecture continue.
Vous pouvez également l'avoir dans sa totalité (mise en page comprise) avec en accompagnement la note de synthèse et une aide au dossier d'enquête pour 9,99 euros, qui me permettent de faire vivre ce blog.
Les documents sont envoyés par e mail au plus tard sous 48 heures.
Vous pouvez aussi acheter sur une semaine un chapitre un dossier sur l'analyse de film (plan, vocabulaire, notions clés et un exemple d'analyse de film à partir d'une scène de Tout sur ma mère de Pedro Almodovar) pour 9,99 euros.
Les documents sont envoyés par e mail au plus tard sous 48 heures.
Voici la première partie du dossier. Au programme: un petit historique du lien ville-cimetière et la rencontre d'agents immobiliers.
Commentaires
Ce n'est pas la partie la plus drôle, mais elle était pourtant essentielle... Les témoignages des voisins, que je mettrai bientôt en ligne sont plus personnels.
Je rattrappe mon reatdr de lecture
Tu dis plus haut que la morgue de Paris était fermée cette année là au public, ça signifie qu'aujourd'hui elle est ouverte au public ?
En tous cas, dossier passionnant
!
Article intéressant ! Même si le thème de la mort n'est pas évident je voit que tu t'es débrouillé pour arriver à tes fins bravo.
Pierre
Merci pour ce dossier oh combien intéressant! Très personnel et rondement mené.
A propos du paragraphe "la faune immobilière". Agent immobilier connaissant (très favorablement) Alexis Peclers, je note un oubli, si vous me permettez, dans votre analyse.
Les avantages à habiter près d'un cimetière existent...Dans les villes urbainement denses, ce sont des axes ou la vue est dégagée (c'est plutôt horizontal question construction), sans vis-à-vis, donc, mais aussi et surtout, ce sont des endroits calmes et sans bruit (on y fait peu la fête). Sauf le respect des morts.
Exemple (vécu): Paris XVIIIème appartement faisant face à 200 mètres sans construction, et ou l'on n'entend que les petits oiseaux voletant d'arbre en arbre. D'ici à penser qu'habiter face à un cimetière c'est plutôt positif, il y a un pas que j'ai franchi. A part le côté glauque, qu'on oublie vite et c'est tout bénèf' !
Que la Paix soit avec vous.