La petite fille erre du bonheur à la peur, insouciante et déjà hors de l’enfance, sauvée encore et toujours par une Barbie ou un bébé à la peau lisse et rose, endormi dans le berceau à coté de son lit. Léa Ziton aime bien entortiller autour de son doigt une mèche de ses cheveux, celle de gauche ou de droite, cela dépend de l’intuition, et de sentir les cheveux doux et longs s’entourer contre son doigt, elle a presque l’impression d’une présence étrangère, d’un ami qui viendrait la vêtir d’un charme surpuissant.
Léa est debout maintenant, c’est le matin, et comme tous les matins depuis bientôt deux mois, le passage de l’étage au rez de chaussée la confronte à la glace, cette glace où, chaque matin, et comme toujours depuis ces deux longs mois, elle se voit verte.

Dans la cuisine, sa maman est là, très grande et très belle. Depuis que Léa, petit à petit, a changé de couleur, elle est toujours effrayée à l’idée que Léa puisse manquer. Alors les petits déjeuners, les déjeuners et les dîners sont gargantuesques. La maman de Léa arrose sa petite fille, son unique, sans jamais lui donner ni haricots, ni salade. C’est que, une petite fille verte, une attraction pour les médecins car c’est le premier cas, on ne doit pas, surtout pas lui proposer du vert, a décrété Louise à son mari qui n’a rien dit, parce que si cela pouvait un peu consoler sa femme, alors il comprenait.
Les médecins, ils ne savaient rien, ils ne comprenaient pas : ça n’était jamais arrivé une petite fille qui verdit, en une semaine ou deux, et dont la peau semble de plus en plus sucrée avec le temps qui passe. Un risque de cholestérol très grave, des difficultés de locomotion peut-être : voilà ce qu’elles avaient prédit les blouses blanches. Mais ce dont elles n’avaient pas parlé, c’était de cette difficulté à concentrer son attention, et surtout, le regard des autres qui, très vite, avait plongé Léa dans sa maison, comme un ours dans sa tanière. Aller à l’école était devenu impossible, et sortir, bientôt, n’avait été envisageable qu’après de grandes prières contre une réticence si forte qu’une fois sur dix, Louise laissait Léa s’en retourner auprès de ses poupées sans oser insister davantage.

On est mardi matin, et le téléphone sonne, et Louise sourit, d’un sourire immense et heureux.
• Léa, c’est pour toi !
La petite fille, intriguée, prend le téléphone que lui tend sa mère et écoute cette voix au bout du fil qui lui parle comme s’expriment les génies.
• Léa, tu as été sélectionnée pour notre association. Tu as toute la journée pour réfléchir et nous dire quel est ton plus grand rêve. Nager avec les dauphins, sauter en parachute, voir les jeux olympiques. Tu n’as qu’une chose à dire, et nous la réaliserons.
• Oh, dit Léa, je sais déjà ce que j’aimerais faire.
• Je t’écoute, murmure la voix au bout du téléphone.