Ma chère Ariane,

Je n’ai pas donné de nouvelles depuis bien longtemps, mais Capsoul a été enlevée par des indiens qui l’ont retenue en otage pendant un mois entier. Sans jument, j’étais bien contrarié, et trop honteux encore pour t’écrire.
Néanmoins tu vas être fière, car j’ai récupéré ma Capsoul sans égratigner un seul des ravisseurs. Dix jours à l’amadouer, pour qu’enfin elle revienne d’elle-même, grâce à une pomme que j’avais soigneusement lustré, légèrement coupé afin que la jument sente l’effluve du fruit.

Après cela, j’étais vraiment mécontent de notre pays. « Les Etats Unis sont très peu sûrs pour ma jument », me suis-je dit, « elle est si belle qu’on me la dispute sans cesse », alors j’ai pris la décision de partir, et me voilà en Australie.
Capsoul s’est habituée depuis peu, je dois dire qu’elle a eu une forte tension les premiers jours, les kangourous étant des êtres à la démarche tout à fait extraordinaire. Cela m’a valu quelques chutes : quelle jument intelligente ma foi ; sais-tu qu’elle essayait de les imiter ? Mais cela n’était pas concluant, alors les quatre pattes ont bien vite retrouvé le sol et j’en suis bien aise quant à moi.

Enfin, je dois dire que j’ai découvert la mer et un poisson extrêmement gentil : le requin. J’étais bien embêté dans l’eau, avec un ongle trop grand qui ralentissait ma brasse. Figure-toi que la brave bête s’est approchée et m’a coupé ce bel encombrement sans broncher et sans rien demander en retour. Je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne cela à ma jument, car après tout je m’occupe bien de ses ongles : pourquoi ne prendrait-elle pas soin de mes sabots ?


Mais je te vois venir, chère Ariane, comme si tu étais devant moi : « Et Johanna ? Comment va-t-elle ? », me dirais-tu, puisque tu l’affectionnes. Je t’en prie, quelle que soit la réponse, fais écho à cette lettre.
Merci, je savais que je pouvais compter sur ta faiblesse de femme et ton admiration pour moi.
Laisse-moi maintenant te présenter la situation. Ne crie pas. Johanna est quelque part, entre les Etats Unis et l’Australie. Cette petite est trop souvent étrange. Figure-toi qu’elle tenait à s’acheter une robe, et cela lui a fait rater notre bateau ! Je ne pouvais pas laisser ma jument partir seule vers une terre inconnue, c’était impossible. Heureusement, j’ai pu crier à Johanna, lorsque nous partions, que je l’attendrai là-bas et qu’elle devait se dépêcher de me suivre. Elle est intelligente. Je pense qu’elle parviendra jusqu’à moi en quelques mois. J’en suis très content.

Ma foi, cette lettre s’achève ici car Capsoul semble avoir envie d’aller vers le nord.

J’espère que tes lessives et tes repas se passent bien.

Cow-boyeusement,

John Bonhomme.