Michel Mouton, héros à la première personne, n’a pourtant rien d’un personnage principal de livre : bien-pensant, il passe ses soirées devant la télévision et ses journées à s’occuper des morts en leur parlant. Il prie aussi, beaucoup, ne boit pas, et ne vit pas.

Un soir, l’arrivée de l’affreux Michel Mouton chez lui met tout sens dessus dessous. L’affreux Michel Mouton, il n’a aucune limite : il mange et boit tant qu’il peut, est exhibitionniste et très méchant, en bref, totalement fou. Et pire encore, l’affreux Michel Mouton s’invite, de plus en plus régulièrement, dans la vie de notre héros désormais guetté de près par la folie.

Richard Morgiève est tout sauf un mouton : son livre n’est autre qu’une peinture à l’acide d’une société étriquée où les bien-pensants sont comme des morts, et les fous, quelquefois, une possibilité de salut après de multiples épreuves.

Mouton bénéficie d’une prise de risque double.
Au niveau du récit, Richard Morgiève n’hésite pas à employer la vulgarité. Les mots crus et les situations scabreuses s’enchainent, tandis que le style lui-même se libère des contraintes bien-pensantes avec ironie : puisque le président préfère la terminaison –ic à –ique, Mouton en tient compte. Pourquoi, également, ne pas varier la taille des polices et les polices elles-mêmes ?
C’est fait. Mouton fait éclater le fond et la forme, dans l'écriture comme chez son personnage.

Finalement, Mouton, c’est l’histoire d’un mouton qui devient loup, se rêve loup, et découvre par une suite de hasards jouissifs sa dame de cœur. On l’aura compris : pas de morale.
La liberté, c’est l’interdit et l’amour.

En bref : un roman déjanté, fou, rafraichissant, original, intriguant, qui sait faire preuve de mauvais goût. Une belle expérience !


Extrait du livre Mouton de Richard Morgiève P 17-18

« Il est pas méchant, il est seulement dingue. Je vais aller téléphoner, l’air de rien, pour pas l’exciter. Il ouvre à nouveau le réfrigérateur :
- On va se faire une omelette.
- Vous n’êtes pas chez vous, je vous le rappelle et je vous prie de me laisser tranquille.
- Tu me fais de la peine. Et tout ce que j’ai fait pour toi, ça compte pas ?
Il jette sa cigarette par la baie vitrée ouverte, ça me révolte. Je vais la chercher. Je la trouve pas mais je marche dessus. Ça fait mal, je gémis. Il rigole. J’ai envie de lui mettre une bonne tarte. J’écrase le mégot dans le cendrier, m’assois sur le carrelage en tailleur, ausculte mon pied. Apparemment il n’y a rien de méchant, une rougeur c’est tout. Il me demande si je veux pas qu’il regarde parce que :
- On attrape facilement une saloperie de nos jours. Un petit sida, une vilaine grippe aviaire, ça t’emporte vite. »


Mouton sera disponible dans les librairies le 14 janvier.
Je remercie Carnets Nord pour la découverte de Richard Morgiève, et de Mouton, un livre à la fois scabreux et poétique, mélancolique et pas étranger au style rabelaisien.