Si le début du film, assez long, passe une bonne demi-heure sur l’interview de cette femme puissante qui a tout réussi professionnellement parlant c’est pour mieux s’engouffrer dans la beauté des mots, dans la beauté de la musique avec en même temps cette sensation que le verbe en fait trop et que tout n’est que façade.

Cette façade, elle va s’effriter au fur et à mesure, dans une mécanique troublante comme une mélodie de bas étage qui s’enchaine (la sonnette de la voisine, les bruits nocturnes du frigo, le plop du flacon de médicaments qui s’ouvre, les cris effrayants du parc). Entendre est un plaisir et un cauchemar, aussi. Et quand la vie déraille, le son déraille, aussi.

Cate Blanchett réalise une performance spectaculaire. Elle incarne Lydia Tár à la perfection : une beauté froide, mi-homme mi-femme, adulée et respectée, crainte et dure, condescendante à l’extrême. Dans certaines scènes où elle mène l’orchestre, on sent cette rage qui gronde, cette violence qui monte.
La musique n’est plus là pour adoucir les moeurs. Elle est devenue une bataille, une lutte, une guerre où les soldats et les généraux sont tour à tour poussés hors du terrain, renvoyés ou tués.
Tár est fait de multiples luttes sourdes et cachées : la musique classique et la musique moderne, les hommes et les femmes, la jeunesse et la maturité.

Car derrière la beauté du visage et du métier se cachent la froideur et une violence sourde qui grandit. Lydia Tár c’est un peu la méchante reine dans un Blanche Neige moderne. Tár me ramène aussi inévitablement à Black Swan, où la femme, au sommet de son art, en amorce la descente dans un milieu où la concurrence peut rendre fou. Mais si l’une est un cygne, l’autre se révèle être un phénix qui renait de ses cendres. Sans grâce ni innocence.

Tár c’est un film inquiétant sur la beauté de la musique et le cauchemar des mélodies quotidiennes. Il faudra porter une attention précise au son, Todd Field nous le dit dès le début du film qui commence par plusieurs minutes d’écran noir pour prêter attention à la mélodie. Un écran noir plutôt qu’un écran blanc. Tout est déjà dit.

Todd Field a fait un film qui ressemble en tout point à son personnage principal. Tár c’est Lydia Tár et le travail sur le son, le montage, le choix des plans sont une parfaite description d’un personnage complexe, qui se dispute la beauté et la laideur, le calme placide et la folie dans une interprétation magistrale.

Mon avis sur Tár, le 25 janvier 2023 au cinéma : 8/10
Tár est un film qui met un peu de temps à démarrer et met mal à l'aise en décortiquant les rouages d'une vie qui part dans la mauvaise direction. A voir pour l'interprétation magistrale de Cate Blanchett et la beauté froide de la réalisation.
A éviter si vous cherchez un film optimiste et joyeux.

Bande annonce de Tár de Todd Field