La cohérence de l’univers proposé, lié à une imagination débordante quant à l’emploi de la langue française, fait de « Déshabillez mots » un petit bijou d’humour qui ne manque pas son rendez-vous coquin avec le public. Car rappelons-le, il s’agit de déshabiller les mots, quand même !

Humaniser des concepts dans un cadre comique : superbe idée. Utiliser les ficelles du journalisme et du reportage comme espace du rire : on n’aurait pu trouver mieux.
Ainsi, l’utilisation de la bande son, qui couvre presque, quelquefois, les voix des deux chroniqueuses, peint à lui seul l’atmosphère du mot du jour : vent à décorner les bœufs pour le Silence, grognement des cochons pendant la rencontre avec l’Elégance, le bruit d’une tronçonneuse pendant le sketch sur la Rupture, etc.
A noter aussi, le jeu sur les voix, que Flore Lurienne et Léonore Chaix maitrisent en créant un comique de situation véritablement sonore avec, par exemple, des intonations humoristiquement journalistiques, des « Alors Léonore, Hé bien Flore » à la pelle.

Au final, c’est un vrai bestiaire qui est crée, un conceptuaire, pourrait-on dire, où l’on compte dans les rangs la Culture, condamnée à mort et alcoolique, la Rumeur qui sous forme d’une recette de cuisine (jolie métaphore filée !) explique ses fonctions, la Gentillesse qui refoule sa méchanceté mais ne peut quelquefois, l’empêcher de s’exprimer soudainement, l’Attente qui n’arrivera jamais, ou encore la Réussite qui, en vraie alpiniste, escalade des sommets toujours plus hauts et s’épuise !

Vous l’aurez compris, il y a dans « Déshabillez mots » un véritable amour des mots, une cohérence et une fantaisie hors pairs, et un filon qui n’a pas encore révélé toutes ses possibilités si l’on songe au nombres de mots du dictionnaire !


Je ne résiste pas à vous écrire ici un passage du reportage sur le Silence… Mon préféré.

« Bonjour, aujourd’hui un nouveau phénomène inquiétant tombe comme une menace de plus sur notre planète. Il s’agit de la disparition du silence qui se trouve dans une situation alarmante. En effet, nous avons constaté ces derniers temps une progression fulgurante du grignotage de la nappe de silence universelle. Dans un monde surchargé de nuisances, sommes-nous encore capables d’entendre le cri tu silence ? C’est une question que notre envoyé spécial Léonore va tenter d’éclaircir en remontant à la source même du silence.
- Léonore ! Léonore ! Vous nous entendez ? Allo ?
- Oui allo, allo, Flore, je vous entends.
- Où êtes vous exactement ?
- Ecoutez, je suis en pleine forêt équatoriale dans la grande réserve naturelle de Silence.
- Vous pouvez nous décrire ce que vous voyez ?
- Je suis en face d’un champ de citernes. Imaginez comme des châteaux d’eau, sauf qu’elles sont remplies de tout le silence du monde. C’est magnifique Flore. Elles se remplissent grâce à l’énergie providentielle de milliers de moines qui prient nuit et jour.
- Et alors, dites-nous, est-ce que vous avez pu rencontrer le silence ?
- Non, malheureusement, j’ai une mauvaise nouvelle. Apparemment le silence ne veut rien dire. Il est en situation de recueillement discontinu afin de garder l’énergie nécessaire au remplissage des bombonnes. - Et quelles sont les conséquences éventuelles de la disparition du silence Léonore ?
- Encore des injustices Flore. Aujourd’hui la disparition du silence touche des régions affaiblies. Les populations qui n’ont plus le droit au silence sont les mêmes qui déjà n’avaient pas le droit à la parole. Oui, nous ne pouvons plus faire la sourde oreille : le silence est en train d’être privatisé.