Michel Leeb et Caroline Silhol font ici une vraie performance d’acteur : ils occupent la scène du début à la fin, sans avoir le temps de souffler une seconde.

Il n’y a qu’un seul acte, un seul décor : l’immobilité de la scène contraste étrangement avec le dynamisme des phrases, et les mouvements des acteurs.
Leur but n’est pas dissimulé : ils veulent se faire mal, faire souffrir l’autre. Il est polytechnicien et haut placé dans les sphères de l’économie, elle aime le design et l’excentricité : deux personnalités opposées se disputent le devant de la scène et le devant des mots pour le plus grand plaisir du spectateur. Rares sont les instants où le couple occupe la même portion d’espace : le décor, symétrique, symbolise l’ambigüité de cette relation. Chacun a le même espace : un fauteuil en forme de chaussure, une moitié de la glace, un pilier en forme d’arbre. Ils se ressemblent.
Chacun reste de son côté, le plus souvent : la guerre est déclarée. Ils sont trop différents.

Les dix premières minutes de la pièce ne sont pas vraiment convaincantes : le jeu de Caroline Silhol est difficile à saisir, le dialogue n’est ni bon ni mauvais, peut-être un peu trop grossier.
Puis le texte s’emballe, fait rire. Les répliques croustillantes arrivent, comme lorsqu’Elle explique à son mari que ce n’est plus des poignées d’amour qu’il possède, mais des tiroirs !

Seul ennui : le retournement final, dommage, après une scène pourtant superbe, où Elle arrose ses plantes en passant et repassant sur scène, en robe de chambre blanche, sans prêter attention à Lui et comme un fantôme.
Le retour en arrière semble impossible, et c’est la vraisemblance qui s’effondre. Intéressant sans doute, dans un contexte nourri de fantaisie et de poésie. Sans grand intérêt ici, si bien qu’on a l’horrible impression que, ne sachant comment finir sa pièce, Philippe Claudel l’a bâclée, avec l’espérance que la figure du retournement, magnifiquement exploitée dans de nombreuses œuvres, pourrait l’être ici aussi. Une étrange louche d’amour intervient dans une pièce qui semblait pourtant vouée à la haine et au déchirement.

Le titre Parle-moi d’amour, en rapport avec la pièce, devient alors le meilleur morceau : Parle-moi d’amour parle de déchirure et d’épuisement. Tout le paradoxe est là. La pièce aurait gagné à s’arrêter dans le non-dit, la possibilité, l’expectative : le peut-être, en somme, et non pas le regret, l’effacement de la pièce elle-même qui renie, au dernier moment, tout ce qu’elle a été précédemment !