La pratique de deux arts peut pourtant paraître ambiguë. Certains critiques ont souvent dénigré ces artistes « touche à tout », qui, puisqu’ils ne savaient pas s’établir dans un genre particulier, montraient par là leur impossibilité à approcher la perfection en art. Mais la capacité à se réaliser dans plusieurs arts n’est-elle pas plutôt un don ? Jean Cocteau, parce qu’il écrit aussi bien La Machine infernale, qu’il réalise La Belle et la bête et peint, est l’un de ces artistes lunatiques. Henri Michaux, poète, aime dessiner à l’encre et n’hésite pas, même, à écrire un livre où le langage n’est plus composé de mots, mais de formes dessinées à l’encre !

Quel lien, alors, trouver entre une peinture de Lynch et l’un de ses films ? Y a-t-il, d’ailleurs, un lien ?
Du côté des films, la narration et l’intrigue se complexifient sans cesse : Lost Highway commençait à déconstruire l’histoire, bientôt suivi par Mulholland Drive qui éliminait encore un peu plus la narration classique, jusqu’à Inland Empire où l’histoire semble s’effacer devant une succession de pensées terrifiées, de peurs qui affluent sans plus aucun contrôle.
Que peut la peinture d’un réalisateur pour un spectateur de cinéma déphasé ? Et si les peintures étaient considérées comme des clés, qui ouvriraient toutes ces multiples portes qui nous font passer d’Hollywood à la Pologne, du passé au présent ?

Premier constat : il existe bien un lien entre les dessins de Lynch et ses films.

Blue Velvet
Voilà le titre de l’un de ses films. Le rouge et le noir suggèrent l’atmosphère du film, le beige au centre son caractère désuet (d’après les vêtements des personnages, le film se passe bien avant les années 1990s).

Eraserhead
Le bébé d’Eraserhead. Le dessin a-t-il aidé Lynch à trouver comment il allait le représenter ?

Noir et blanc

militaire
Ces deux dessins sont troubles. Les deux personnages représentés sont démembrés, difformes. Ils rappellent le sujet d’Elephant Man ou d’Eraserhead. Lynch, en peignant, en faisant des films, met en scène la difformité de l’espèce humaine, qu’elle soit physique ou mentale. C’est la tête du général qui n’a pas forme humaine. Qu’en est-il de son esprit ? Dans Inland Empire, ou dans Mulholland Drive, les personnages ont aussi un statut : elles sont actrices ; elles ont l’uniforme, elles aussi, en quelques sortes. Mais cet uniforme ne suffit pas à les préserver de leurs pulsions, de leurs passions.

la peinture
Mulholland Drive n’est pas loin. La thématique du rêve revient, avec une certaine déchéance.

Comment qualifier en quelques mots la peinture de David Lynch ? Glauque, morbide, obscure, pulsionnelle, non-conforme. Une tentative de remplir le vide, en dessinant sur des serviettes ou des boites d’allumettes. Des hantises, à chaque coin de papier, exactement comme dans ses films : la difformité dans Eléphant Man, la culpabilité dans Mulholland Drive, l’adultère dans Inland Empire. A chaque fois, des personnages pour incarner cette hantise, ces terreurs humaines.

Mais considérer ces dessins, ces peintures, comme des ouvertures possibles sur la compréhension des films, c’est aussi remettre en cause ces œuvres d’art comme étant des œuvres d’art. Une peinture n’a pas vocation à expliquer une autre œuvre, mais à exister pour elle-même.
Pourquoi, alors, les peintures de David Lynch m’ont-elles données l’impression qu’elles illustraient, qu’elles transcrivaient ses films ?
Sans doute parce que peindre et filmer, pour Lynch, c’est proposer le même monde mystérieux et morbide à deux matières différentes.
Quelle matière s’accorde le mieux à ce monde, à son créateur, c’est au spectateur d’en décider.
Pour ma part, le choix est fait : David Lynch et le cinéma restent inséparables depuis Mulholland Drive, le seul film, qui, pour moi, est une définition parfaite du cinéma.


Ce billet a déjà été publié chez Narcissique Blog. Il s'agissait de mon premier billet en tant que blogueuse invitée.