Tout commence un jour d’orage, où le père de Tobie, cinq ans, envoie son fils au diable après avoir trouvé le corps de sa mère à cheval, sans tête.

«« Ta mère a perdu sa tête ! Sa tête a disparu, disparu! Et toi, va-t-en au diable ! » Et il dressa son bras devant lui, par-dessus Tobie. Sa main ne désignait aucune direction précise, mais elle tremblait de violence. L’enfant traduisit ces mots insensés et le geste impérieux dans son langage à lui : « le diable a volé la tête de maman et je dois aller la chercher, droit dans l’inconnu ». Il reboutonna de travers son ciré, remit d’aplomb son tricycle, grimpa dessus, et, sans demander d’explications, il fila vers le nulle part que pointait la main souveraine de son père. Armé de son tomahawk il saurait bien contraindre le diable à lui restituer la tête de sa mère. Et c’est ainsi qu’il partit sur la route, dans l’épouvante et la colère.

Le petit pédalait au hasard, bravant la peur, la fatigue, et bientôt le vent qui se levait, prenait ampleur, et enfin le tonnerre et la pluie. »

Déchainement des éléments, déchainement des sentiments : l’aventure de Tobie commence dans une atmosphère de fin du monde : déluge et perte de la mère se mêlent, perte du père, aussi, que la mort de la mère changera pour toujours. L’itinéraire étrange de Tobie commence alors, avec en parallèle le destin de Déborah sa grand-mère, avec sa famille, quand elle n’était encore qu’adolescente : passé et présent se mêlent dans la tragédie, en laissant une place à l’amour des livres, à l’amour des mots mêlés les uns aux autres.

Le livre a eu le grand Prix Jean Giono en 1998, et gagne en douceur, en nuances, en espoir. Après Le Livre des nuits et Nuit d’ambre, magnifiques de poésie et de violence, Tobie des marais émerge comme une petite lueur : Raphael, cet ami soudain et éternel, mène Tobie à lui-même et vers l’amour. Sarra, victime d’une terrible malédiction (sa beauté tue les adolescents amoureux) et Tobie, à qui il ne reste que très peu de famille, vont découvrir le bonheur d’être deux, le bonheur d’être soi.
Et, qu’il s’agisse d’instants de bonheurs, ou d’événements tragiques, la plume romantique et hyperbolique de Sylvie Germain, nous transporte dans des contrées où le rythme des phrases, et des mots, est aussi important que leur signification. Une prose poétique, ou une longue poésie en prose, peut-être…